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Le temps des illusions

Le temps des illusions

Titel: Le temps des illusions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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préjugé, voire de la plus flatteuse manière. Tandis que la bourgeoisie la regarde comme un objet d’opprobre et répugne à la fréquenter, la noblesse, au contraire, court au-devant d’elle, la reçoit, la caresse, l’adule, et tire même vanité de ce commerce. On dira que c’est la comédienne (ou la cantatrice, ou la danseuse) que l’on recherche, et non la courtisane. Mais comme la distinction est assez difficile à établir, et que l’une ne va généralement pas sans l’autre, il en résulte qu’après avoir fréquenté la comédienne, on en arrive à voir la courtisane, en se donnant à soi-même (et aux autres) l’excuse du théâtre. En fait, ce que l’on recherche auprès de ces femmes, c’est une certaine légèreté de ton et de langage, une forme d’esprit moins convenu que celui des salons, une conversation plus libre, un rire plus spontané, plus de désinvolture dans la pensée comme dans le maintien, des élégances plus affectées, des parures plus éclatantes ! Une manière, en somme, de s’encanailler dans la joie, de se laisser glisser sans péril au vertige de l’inconnu, de frôler jusqu’à l’ivresse l’abîme de ces vies inquiètes, à l’abri de son rang et de sa naissance. Cette collusion entre le monde du spectacle et celui des classes dominantes a vu le jour à l’époque de la Régence.
    Quoi de plus amusant que les potins de coulisses, les secrets d’alcôve, les bons mots, les rosseries, les anecdotes scandaleuses, les commérages, les indiscrétions, les rivalités, les crêpages de chignon, toutes ces petites histoires, tous ces papotages vifs et drôles qui vont, viennent, volent de bouche en bouche et scintillent autour de la table, comme le vin de Champagne dans les verres, au milieu des rires en cascade. Non, décidément, il n’est point de souper réussi sans quelqu’une de ces enchanteresses ! Les dames de la meilleure noblesse vont aux dîners deMlle Quinault, au bal champêtre donné parMlle Antier pour la convalescence du roi, où elles dansent jusqu’au lever du jour.Adrienne Lecouvreur gémissait déjà des sollicitations qui l’accablaient et de l’insistance des grandes dames à venir troubler sa vie paisible et retirée : « C’est une mode établie, disait-elle en 1738, de dîner ou souper avec moi, parce que quelques duchesses m’ont fait cet honneur. […] Si ma pauvre santé me fait refuser ou manquer à une partie de dames que je n’ai jamais vues, qui ne se soucient de moi que par curiosité, ou si je l’ose dire par air, car il en entre en tout : “Vraiment !, dit l’une, elle fait la merveilleuse !” – Une autre ajoute : “C’est que nous ne sommes pas titrées.” – Si je suis sérieuse, parce qu’on ne peut pas être fort gaie au milieu de gens qu’on ne connaît pas : “C’est donc là cette fille qui a tant d’esprit ?”, dit quelqu’un de la compagnie. – “Ne voyez-vous pas qu’elle nous dédaigne, dit un autre, et qu’il faut savoir du grec pour lui plaire ? Elle va chezMme de Lambert !” » Pénétrant les raisons de sa vogue mondaine, Adrienne Lecouvreur avait conscience de demeurer étrangère au monde qui la choyait ; mais elle savait concilier sa dignité avec les conventions sociales 6 .

    Plaisirs, plaisirs, plaisirs
    Les Parisiens et les étrangers trouvent à Paris tous les plaisirs imaginables. La capitale offre plusieurs promenades aux flâneurs. Le jardin des Tuileries reste toujours très fréquenté. On y bavarde, on s’y assoit, on sirote des boissons chez un limonadier sur la terrasse des Feuillants. On se raconte des anecdotes ; on entenddes potins qu’on pourra raconter et déformer à plaisir. Les petites boutiques de jouets et de bimbeloterie font de bonnes affaires les jours de beau temps. C’est dans ce parc que l’on apprend les dernières nouvelles. On y achète la Gazette de France, Le Mercure, La Gazette des spectacles … et d’autres périodiques qui ont reçu l’ imprimatur  ; des journalistes clandestins vendent sous le manteau des feuilles manuscrites diffusant des informations plus piquantes, généralement scandaleuses. Le lieutenant de police en arrête certains, mais leurs écrits courent encore.
    Les Parisiens découvrent la promenade sur le boulevard aménagée depuis peu de temps. Les cafés, les théâtres et les spectacles en tous genres, les boutiques de traiteurs avec leur musique, leurs bosquets illuminés le soir, leurs guirlandes

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