Le temps des illusions
fleuries attirent une clientèle mêlée. Sur cette avenue spacieuse d’où l’on aperçoit Montmartre avec ses moulins à vent on projette de construire des maisons de plaisance.
Le quartier du Palais-Royal attire toujours une foule de beaux parleurs qui se réunissent dans les cafés. Venu de la petite ville de Langres où son père est coutelier, un jeune auteur nomméDiderot adore s’asseoir dans les jardins, mais « si le temps est trop froid ou trop pluvieux, il se réfugie au “Café de la Régence” » ; là il s’amuse à voir jouer aux échecs. « Paris est l’endroit du monde et le Café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu 7 », dit-il.
Le goût pour les spectacles n’a jamais été poussé aussi loin qu’en ce moment. D’ailleurs le théâtre donne aux gens du monde des réflexions toutes faites. La Comédie-Française se trouve quelque peu délaissée au profit des Italiens dontMarivaux reste le génie tutélaire. Il y a donné Les Fausses Confidences en 1737 et L’Épreuve en 1740. Plusieurs auteurs nouveaux s’inscrivent dans la même lignée et font eux aussi la joie de ceux qui se passionnent pour la métaphysique du cœur.
Appelé aussi Académie royale de musique, l’Opéra est toujours installé dans la salle du Palais-Royal inaugurée en 1641. Ce théâtre majestueux conserve la configuration étirée des anciens jeux de paume assez peu favorable pour l’acoustique. On y donne trois représentations par semaine ; son public se recrute parmiles classes les plus riches de la société qui peuvent seules s’offrir le coûteux privilège d’une loge à l’année sur laquelle on fait graver son nom en lettres d’or et ses armoiries si l’on en possède. Les soirs de représentation, princes et princesses, ducs et duchesses, seigneurs de la Cour, fermiers généraux, financiers, filles à la mode et courtisanes de haute volée rivalisent d’élégance, les hommes en grand habit, les femmes en larges paniers. À la fin du spectacle, sur le perron du théâtre, le suisse appelle leurs « gens » d’une voix de stentor, en faisant sonner bien haut leurs nom, titres et qualités qui retentissent sur la place du Palais-Royal jusqu’à ce que leur équipage soit avancé. Parmi les privilégiés de l’Opéra figurent aussi tous ceux auxquels le roi accorde une entrée gratuite, soit environ deux cents personnes qui se répartissent entre les galeries et le parterre. Les places restantes suffisent à peine aux étrangers séjournant à Paris qui se font un devoir de passer une soirée à l’Opéra.
Le théâtre se transforme en salle de bal depuis quele Régent a donné son autorisation pour un tel divertissement. Trois cents bougies, des chandelles, des lampions et des pots à feu dont la lueur se reflète dans les miroirs s’éclairent pendant toute la nuit. La saison des bals s’ouvre le jour de la Saint-Martin et se poursuit tous les dimanches jusqu’à l’Avent. Elle reprend le jour des Rois et on les donne deux fois par semaine pendant le carnaval jusqu’au carême. Le bal commence à minuit et s’achève à sept heures du matin. Le billet d’entrée coûte six livres. Toutes les femmes y viennent masquées tandis que les hommes se montrent à visage découvert. Une foule compacte s’y entasse : grandes dames, bourgeoises, filles entretenues, comprimées et ballottées au gré du flux et du reflux, souriant aux galanteries qu’on leur souffle à mi-voix. Ici pas d’étiquette, pas de rang, toutes les femmes se retrouvent sur un pied d’égalité, emportées dans la même farandole de plaisir. Les hommes ne viennent là que pour l’aventure, papillonnant de l’une à l’autre, attendant que la bonne fortune fasse tomber dans leurs bras quelque belle inconnue. Que de reconnaissances ! Que de méprises ! Que d’espiègleries dont le feu s’ouvre par ces mots, toujours les mêmes : « Je te connais beau masque ! » Seuls les blasés s’ennuient au bal de l’Opéra.
Une autre passion anime les Parisiens, celle du jeu. Des gens qui peuvent à peine rester en place un quart d’heure sont capablesde manier des cartes cinq ou six heures de suite. On joue partout, à la Cour, chez les particuliers, et aussi dans certaines maisons que l’on fait fermer par ordre du lieutenant de police.
Paradis du libertin
L’amour physique est à la mode ; il surgit de toutes parts et tout le monde s’en soucie : gens de
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