Le temps des illusions

fiancée à la bavette
    On pense déjà au mariage deLouis XV. Un tel projet n’a rien de surprenant chez les princes : les alliances matrimoniales consolident les alliances politiques. C’est l’affaire deDubois, qui mène des négociations secrètes pour sceller la réconciliation des Bourbons plus solidement que le traité conclu au mois de mars à Madrid. À cette occasion,Philippe V etLouis XV ont reconnu chacun leurs possessions ; ils ont promis de se défendre mutuellement en cas d’agression et l’Angleterre est entrée dans l’alliance. La paix semble de nouveau assurée en Europe. Cependant, le bruit courait que Philippe V allait marier ses fils aux filles de l’empereur. Agissant dans l’ombre, Dubois a manipulé avec une habileté diabolique l’entourage du roi d’Espagne et fait échouer le projet. Aussi leRégent vient-il d’apprendre que le roi d’Espagne demande la main de Mlle deMontpensier, l’une de ses filles, pour leprince des Asturies, l’héritier du trône, et propose de donner sa fille unique,Marie-Anne-Victoire, à Louis XV.
    Mlle de Montpensier, reine d’Espagne, quelle gloire pour Philippe d’Orléans ! Elle a douze ans et le prince quatorze. On pourracélébrer les noces d’ici deux ans, mais la future épouse de Louis XV, l’infanteMarie-Anne-Victoire, n’a que… trois ans. Cet engagement est-il raisonnable ? La reine-infante ne pourra pas donner un héritier au royaume avant treize ou quatorze ans ! Cette longue attente favorise leRégent, qui restera ainsi longtemps auprès du jeune monarque. Et si par malheur ce dernier venait à mourir, la couronne de France passerait à Philippe d’Orléans et à ses descendants… Le Régent ne se tient plus de joie. Les lettres qu’il échange avec lesouverain espagnol restent encore secrètes. Les deux princes se font des protestations d’amitié et il est convenu qu’on annoncera le mariage du roi avant celui de Mlle deMontpensier. Philippe V exige que la promesse de mariage soit déclarée officiellement et tenue pour irrévocable.Dubois a aussitôt proposé que le Conseil de régence donne son approbation et il a ajouté que le consentement du roi était nécessaire.
    Dire à une petite fille qu’elle sera reine comble ses vœux les plus secrets, mais annoncer à un adolescent qu’on le mariera à un bébé de trois ans est une autre affaire. Le Régent se rend compte de l’épreuve qu’il impose au monarque au nom duquel il gouverne. Il redoute sa réaction. Que faire s’il refuse d’épouser l’infante ? Cette union semblerait folle à ceux qui ignorent la diplomatie des cours et les enjeux des traités. Mais le jeune roi sait-il qu’il n’a pas le droit de disposer de sa vie, qu’il devra toujours se sacrifier au nom de la raison d’État et que son destin dépend de la politique ?
    Au début du mois de septembre, le Régent se décide à franchir le Rubicon : il parlera au roi. Avant cette entrevue, il a préféré avertir leduc de Bourbon etM. de Fréjus. M. le Duc a semblé ravi, mais le précepteur a pris l’air sévère. Il a promis de se trouver à côté de son élève au moment fatidique.
    Le 14 septembre, avant le Conseil de régence, le duc d’Orléans suivi par M. de Fleury entre dans la chambre deLouis XV où se trouve leduc de Villeroy. Sans autre préambule, il lui assène la nouvelle. Le jeune souverain est habitué aux annonces funestes, mais celle-ci est ahurissante, incroyable. Il ne peut retenir ses larmes. Imperturbable, son oncle poursuit le petit discours qu’il a préparé. Certes, l’infante est presque au berceau, mais le temps passe si vite. D’ailleurs, elle viendra en France où elle sera éduquée et formée à l’étiquette de la Cour. Elle deviendra la reineidéale pour le royaume. Il saura la guider et ce sera une épouse docile et aimante… Le roi pleure de plus en plus fort, tandis que M. leDuc approuve ce mariage si utile à la paix du royaume. « Allons mon maître, il faut faire la chose de bonne grâce », murmure leduc de Villeroy. Mais Louis ne dit mot. LeRégent etDubois sont sur des charbons ardents. Le roi ne voit que des visages anxieux. Son avenir dépendrait-il de lui ? Il peut opposer un refus. Il a peur. Pendant un quart d’heure, M. deFréjus parle à l’oreille de l’adolescent, dont il parvient à tirer enfin un consentement déchirant. Le Régent et Dubois respirent. Le supplice de Louis n’est pourtant pas terminé. Il