Le temps des illusions
joint aux promeneurs avec sa favorite et ses roués qui rivalisent de mots d’esprit. Un soir, trois hommes surgirent d’un bosquet pour l’injurier ainsi que sa maîtresse. M. deBiron voulut les poursuivre, mais ils le menacèrent avec une telle violence qu’il revint auprès du prince tandis que les autres filaient dans la nuit sombre. Depuis cet incident, la porte du jardin est fermée à dix heures.
LeRégent poursuit sa liaison avec Mme d’Averne qui s’ennuie en sa compagnie et ne s’en cache pas. Le prince continue de voir aussi des filles d’Opéra et sa maîtresse, quelques beaux consolateurs. Philippe d’Orléans paraît bien fatigué. Il grossit, ses joues tombent, son regard faiblit. Le docteurChirac le surveille et s’inquiète, mais le prince tourne tout en raillerie. Il continue de gouverner et ne perd pas de vue les intérêts du royaume… tout en restant soucieux des siens.
Leduc de Chartres, son fils unique, a suivi l’exemple paternel, mais sa maîtresse, une comédienne de talent, Mlle Quinault, lui a donné une chaude-pisse qui l’a fait beaucoup souffrir. Il s’en est remis, et il a renvoyé la demoiselle en la gratifiant d’une rente, au demeurant assez modeste. Très pieux, il ne reste pas insensible aux thèses des jansénistes. Il risque de tourner à la dévotion.
Les écarts de la haute noblesse ont alimenté la chronique des mariages rompus. La séparation du princeCharles de Lorraine, grand écuyer de France, d’avec Mlle deNoailles a fait grand bruit.Après six mois de mariage, Charles de Lorraine, grand chasseur et grand buveur devant l’Éternel et qui a près de quarante ans, a décidé de rompre avec son épouse tout juste âgée de seize ans. Le 17 février 1721, au matin, il s’est fait annoncer chez leduc de Noailles :
« Beau-père, lui dit-il, je vais vous dire une chose qui ne vous plaira peut-être pas ; j’ai retranché depuis peu ma maison et plusieurs domestiques parce que je ne me trouve plus en état de soutenir une aussi grosse dépense et vous me feriez le plaisir de reprendre votre fille chez vous.
– Vous voulez rire mon gendre ?, dit le duc.
– Nullement », répliqua le prince, qui sortit sans ajouter un mot.
Le lendemain,le prince demanda à son épouse si elle avait vu son père. Comme elle lui répondit que non, il lui répéta ce qu’il avait déclaré auduc de Noailles la veille. Laprincesse émue proposa de réduire sérieusement son train de vie, mais il lui repartit :
« J’ai tort de parler de la dépense ; nous ne nous convenons point d’humeur vous et moi ; nous aurions souvent des différends ensemble et je n’en veux point ; ainsi vous n’avez qu’à retourner chez votre père.
– Dans l’état où je suis, la maison de mon père n’est plus la mienne. Si vous parlez sérieusement c’est le couvent qu’il me faut 9 . »
La jeune princesse s’est retirée au couvent de la Visitation-Sainte-Marie.
Les uns prétendent que le mari a voulu se venger de son beau-père qui lui avait versé la dot de sa femme en billets de banque ; les autres laissent entendre que Mlle de Noailles n’aurait pas été un bonne épouse. Il est bien difficile de démêler la vérité. Cependant, l’exemple paraît contagieux. M. deLautrec, gendre du premier président du Parlement, M. deMesmes, a renvoyé sa femme et M. d’Estaing a quitté la sienne après trente ans de mariage.
On n’en finirait pas de conter tous les scandales de la capitale. Citons cependant l’affaire de Mme de Saint-Sulpice. Cette jeune veuve, tutrice de ses enfants, a participé aux parties de débauche des princes. Un soir de cet hiver alors qu’elle avait beaucoup bu au souper donné par lecomte de Charolais et M. leDuc 10 , elleeut le fondement affreusement brûlé par deux pétards posés sur un sofa. Cette délicate attention venait de ses hôtes. Elle eut le ventre brûlé et un grand trou à la cuisse. LaPeyronie, chirurgien du roi, la soigna et la sauva, mais elle faillit mourir. Cette aventure courut dans tout Paris. On voulut faire croire que le feu avait pris à son panier, mais la réalité était beaucoup plus horrible. Les chansonniers toujours avides de sujet scabreux ont composé quelques vers à ce propos :
Le grand portail de Saint-Sulpice
Où l’on a tant fait le service,
Est sapé jusqu’au fondement.
On est surpris que par ce caprice
Les Condé aient si follement
Renversé ce grand édifice 11 .
Une
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