Le temps des illusions
ville natale, mais il n’en eut pas la force.
Gersaint, son exécuteur testamentaire, se vante de son amitié avec ce garçon fragile qui ne pensait qu’à son art, fuyait les mondanités et vivait comme l’oiseau sur la branche. Il rassemble toutes les informations qui lui permettront d’écrire sa biographie. Cen’est pas tant par fidélité que par intérêt. Il veut vendre l’enseigne, et racheter au meilleur prix d’autres toiles. La cote de Watteau va monter et Gersaint en tirera d’excellents bénéfices. Il possède aussi des dessins de celui qui passe pour un maître depuis sa réception à l’Académie de peinture et de sculpture en 1718.
Le cardinal
Les vapeurs de l’encens n’ont pas griséDubois. La pourpre cardinalice aiguise encore son ambition. Il veut passer pour le digne successeur deRichelieu et deMazarin. Il y a plusieurs cardinaux en France, mais maintenant lorsqu’on dit « le cardinal », c’est de lui qu’il s’agit, lui le fils d’un obscur apothicaire. Il est devenu le troisième personnage du royaume. Le Régent, de plus en plus fatigué, se décharge de tout sur ce vieux compagnon dont la santé n’est guère meilleure que la sienne. Malgré des maux difficiles à supporter, rien ne lui résiste. La passion du pouvoir le maintient en vie. Au Conseil de régence, il siège avant les ducs et les maréchaux. En un mot, il gouverne. Il a réuni aux Affaires étrangères la surintendance des Postes qui constitue un véritable service d’espionnage. Le contrôleur général des Finances,Le Pelletier de La Houssaye, est sa créature. Il surveille lesfrères Pâris qui remettent de l’ordre dans les finances grâce à l’opération du visa qui liquide le système deLaw : un arrêt du Conseil du 26 janvier 1721 a ordonné de soumettre à l’examen de commissaires tous les contrats de rente, certificats de compte, billets, actions, en y joignant des renseignements détaillés sur la date, le prix, le mode d’achat. Tous ces papiers ont été détruits et en échange, leurs anciens possesseurs se partageront des rentes créées par l’État et le capital de la Compagnie des Indes a été réduit de moitié. Enfin, le contrôleur général des Finances a obtenu des receveurs généraux une avance de plusieurs millions qui lui permettra de parer aux dépenses les plus urgentes.
La paix extérieure retrouvée, les finances stabilisées,Dubois pourrait dormir sur ses lauriers et imposer ses vues sans plus de difficulté qu’auparavant, mais le titre de principal ministre a pour lui valeur de reconnaissance officielle de ce qu’il est déjà. Le temps presse.Louis XV atteindra sa majorité le 15 février 1723. Il n’auraque treize ans, mais il pourrait avoir le caprice de choisir un autre Premier ministre. Dubois craint de voir élever à cette fonction leduc de Villeroy, qui exerce une autorité incontestable sur son royal élève, même si celui-ci s’impatiente parfois de ses exigences tatillonnes.
Dubois redoute également les menées des roués, qui le méprisent et le jalousent.Nocé ne se prive pas de le desservir auprès du Régent. Il lui a dit mi-plaisant, mi-sérieux qu’il pouvait bien faire un cardinal d’un cuistre mais sûrement pas du cardinal Dubois un honnête homme. Il a ajouté qu’il le trahirait en faisant déclarer l’infant don Carlos héritier de la couronne de France au cas oùLouis XV viendrait à mourir. Récemment, alors quele prince travaillait avec le cardinal, Nocé s’approcha d’eux. « Fait-il quelque maquerellage ? », ricana-t-il en regardantDubois. « Tu n’en parles que par envie parce que je ne me sers plus de toi », répliqua leRégent sans se fâcher.Nocé partit furieux ; Dubois jubilait. Il déclara que de tels propos étaient intolérables ; que si Nocé se répandait ainsi en infamies à son égard, aucun ambassadeur n’accepterait plus de travailler avec lui. Le Régent, qui tient encore plus à Dubois qu’à Nocé, a résolu de l’exiler. Douloureusement surpris, le favori a dit à Philippe d’Orléans qu’il faisait une mauvaise action. « Peux-tu dire cela, toi qui me connais si bien ? », a rétorqué le prince. « C’est parce que je vous connais que je n’en doute point », a répondu Nocé. Le même jour 12 avril 1722, il a reçu son ordre d’exil 17 .
Dubois poursuit une stratégie qu’on ne peut guère critiquer, même si elle sert avant tout ses intérêts. Il fait une cour
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