Le temps des poisons
épaule. Peut-être avec certains membres du conseil paroissial ? J'aimerais qu'ils soient présents ; j'ai quelques questions à poser.
« Il y a autre chose », dit-elle entre ses dents. Elle coucha le corps sur le dos. Un souffle d'air s'échappa du ventre. Kathryn s'efforça de ne pas regarder les yeux épouvantés tandis qu'elle tâtait la ceinture à la recherche du trousseau de clés. Elle finit par les trouver accrochées à un petit fermail. Elle se dirigea vers le coffre à poisons poussé sous la table au-dessous de la fenêtre. Elle l'avait vu auparavant mais n'en avait pas fait mention afin que le sergent ne s'en mêle pas. Elle tira la lourde arche et manœuvra les trois serrures avec soin. Le coffre contenait deux plateaux superposés divisés en petits casiers qui, chacun, renfermaient un sachet marqué de façon lisible du nom d'un poison. Kathryn fut surprise. Adam était bien approvisionné en arsenic rouge et blanc, en belladone, en champignons vénéneux, en tanaisie et en mandragore. Au fond de l'arche se trouvait ce que Kathryn cherchait en réalité, c'est-à-dire le registre des produits, épais volume à la reliure de cuir noir frappé d'une mandragore sur la couverture et clos par un fermail. Kathryn l'ouvrit. Le parchemin des premières pages était jaune et craquelé par le temps, les pages suivantes, plus récentes, étaient lisses et blanches. Chacune était remplie avec exactitude en conformité avec la loi et énumérait le moindre détail des achats - ce qui avait été acquis, en quelle quantité, par qui - d'une écriture de lettré. Les deux dernières colonnes indiquaient le prix et la date. Kathryn referma le recueil et sortit sur le seuil.
— Je l'emporte.
—
Vous n'avez pas le droit ! s'insurgea Walter. Tout doit être mis sous scellé jusqu'à ce que le coroner ait pris une décision !
—
C'est Lord Henry le coroner ! rétorqua Colum. Il se prononcera. En attendant, Maîtresse Kathryn conservera ce livre.
L'agitation était manifeste. La jeune femme se dit qu'ils avaient sans doute des choses à cacher. Le document qu'elle tenait était un vrai livre des secrets. Il pouvait non seulement révéler le nom de l'empoisonneur mais aussi qui à Walmer avait acheté quoi. Dans un endroit comme celui-ci, chacun avait quelque chose à taire. Kathryn scruta derechef la chambre. On avait allumé deux torches de joncs mais l'atmosphère n'en était que plus sinistre.
—
C'est une belle maison, réfléchit-elle à voix haute, et voilà des années que cette pièce sert d'apothicairerie. Comment cette demeure est-elle échue à Adam ?
—
Il l'a héritée de son oncle ! cria grand-mère Croul, qui se tenait derrière les autres. C'était un méchant homme, un naufrageur, l'un de ceux que Lord Henry a pendus à Gallows Point !
— Il a aussi fait un riche mariage ; feu son épouse, Margaret, était ma sœur, ajouta Ursula en pinçant les lèvres et en toisant Kathryn. Vous comprenez, nous ne sommes pas tous des manants. Mon père était un fermier fortuné ; il élevait du bétail et des moutons dont il vendait la laine.
— Je veux bien le croire, dit Kathryn en souriant. Adam était veuf, n'est-ce pas ?
—
Il avait épousé ma sœur. Adam avait étudié à l'école ecclésiale d'Ely. Il devait aller aux collèges de Cambridge mais son père l'a ramené ici. Il connaissait bien la médecine puis il a pris Margaret pour épouse et a hérité de ce logis ; voilà comment il a pu acquérir toutes ces poudres. Pour le bien que ça lui a fait ! ajouta-t-elle avec un reniflement de dédain.
— Depuis combien de temps était-il veuf ?
—
Trois ans environ. Margaret est morte d'un dérangement d'entrailles il y a à peu près trois ans.
Kathryn serra plus fort le livre des poisons. Plus elle restait dans cette maison, plus elle la trouvait sinistre et menaçante. Le simple fait qu'Ursula ait indiqué comment sa sœur avait trépassé éveil ait ses soupçons. Elle n'avait rencontré Adam qu'un court moment, mais ce qu'elle avait vu lui avait déplu. A Cantorbéry, le nombre de morts presque subites dues à des maux d'estomac ou à des élancements à la nuque la troublait toujours. À moins qu'un habile mire ne soit présent, le défunt pouvait être enterré en hâte et sa fin être considérée comme la volonté de Dieu plutôt que l'œuvre d'un homme et le péché de meurtre. Elle décida que sous peu elle questionnerait davantage Ursula sur la disparition de
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