Le temps des poisons
attendait d'être tourné. Elle s'accroupit et manipula le grossier robinet de bois. Le vin jaillit en éclaboussant le sol.
Elle prit un gobelet d'étain, le remplit et le porta à son nez. Bien que le bordeaux fût généreux et fort, elle perçut une exhalaison douce-amère d'amande. La malheureuse Isabella, éperdue, abattue et choquée par le brutal trépas de son mari, n'avait pas dû comprendre ce qui se passait. Elle s'était servi du vin et avait bu sa propre mort à longs traits. Kathryn se redressa et se demanda comment et pourquoi le vin avait été empoisonné.
—
Kathryn, Kathryn, tout va bien ?
Colum, la main sur le pommeau de son épée, se tenait sur le seuil. Il sourit d'un air penaud.
—
Les membres du conseil paroissial commencent à s'inquiéter et à avoir faim.
—
Dieu aussi, lui répondit-elle avec un léger sourire.
Il a faim de justice. Il veut que ces sanglants mystères soient résolus et que les victimes soient vengées.
Elle lui fit un clin d'œil.
—
De grâce, demandez-leur d'attendre un peu. Le jeûne leur sera salutaire, au corps et à l'âme.
Elle reprit l'examen du tonnelet. Elle distingua les lettres marquées au fer rouge qui attestaient qu'il provenait des vignobles du château de Mauléon, à la frontière de la Gascogne. Elle ne découvrit rien d'autre.
Alors, où le liquide avait-il été empoisonné ? Ici, dans la maison, ou ailleurs ? Kathryn savait qu'on pouvait ouvrir et refermer la bonde d'un tonneau ; c'était une duperie bien connue des négociants qui voulaient couper le vin d'eau afin d'accroître leurs profits. Comment, et pourquoi, Isabella avait-elle choisi ce tonnelet-là pour ce jour spécial ? Kathryn laissa le vin s'écouler sur le sol. Il valait mieux que le récipient soit vidé et ensuite brûlé. C'est ce qu'elle dirait à Walter le sergent.
Elle quitta la cuisine. Dans le couloir elle trouva une porte branlante qui menait à la cave. Elle s'ouvrit en grinçant sur ses gonds de cuir. La jeune femme revint sur ses pas, alluma un lumignon et descendit avec prudence les marches raides en agrippant la grosse corde chevillée au mur. L'endroit empestait : quand elle parvint en bas, un léger bruissement l'alarma. Elle leva sa grosse chandelle et étouffa un cri. Sur le sol, au pied de l'escalier, Elias et sa femme avaient déposé une planche de bois couverte d'une épaisse couche de glu, système banal pour attraper rongeurs et blattes, après quoi on l'ôtait et on la brûlait. Sur la planchette se trouvaient des cadavres de vermine : des cafards, un rat et quelques souris dont l'une, encore vivante, s'agitait faiblement. Kathryn d'un coup de pied envoya le piège au loin et s'avança. Le plafond était bas. Elle se courba un peu et, lumignon levé, regarda autour d'elle.
— Un endroit hanté ! murmura-t-elle en s'efforçant d'ignorer l'horrible bruissement.
La répugnante odeur la gênait. Elle se couvrit le nez et la bouche et regretta de ne pas avoir de pomander. Elle respira profondément pour tenter de dissiper son envie de vomir. En sentant la crème parfumée dont elle s'était oint les mains le matin, elle se détendit. Elle devait se concentrer sur cette cave, un simple carré aux murs chaulés et sales.
Dans un coin étaient empilés de vieux outils, des meubles abîmés et une barrique de bière déjà mise en perce dont le robinet gouttait un peu. A côté se trouvait un amas de vêtements usagés, de jarres fendues, de pots et de poêlons hors d'usage. Kathryn découvrit un bâton et fouilla dans les ordures. Elle finit par mettre au jour la réserve de vin mais il n'y avait qu'un tas de jarres scellées provenant de chez un marchand - elle ne vit pas d'autre tonneau.
Elle fut heureuse de sortir de la cave et de continuer ses recherches dans les autres parties du logis. Il était confortable, cependant elle releva un manque de soin, une absence de chaleur. Les sols dallés étaient crasseux et la jonchée point trop propre. Si la pièce principale était bien meublée, les chandelles n'étaient pas taillées et l'air empestait l'huile de lampe bon marché. Les tentures, de mauvaise qualité, étaient un peu mangées aux mites. Au fond, Kathryn découvrit une porte étroite qui ouvrait sur une petite alcôve carrée renfermant une table tachée, une chaire à haut dossier et un tabouret.
Chambre étriquée éclairée par une meurtrière percée haut dans le mur, elle avait dû servir de cabinet de travail. Il y avait
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