Le temps des poisons
Murtagh.
—
Voici ce que je pense, Colum, bien que je n'aie guère de preuve.
Elle s'essuya les doigts sur une serviette.
—
D'abord, Lady Mary a connu une mort tragique, bien qu'accidentelle. Lord Henry se sent peut-être coupable, mais il n'en est pas responsable. Il est aussi innocent du trépas de William Marshall, quoique intrigué par le destin de son ami, suprêmement intelligent. Il a par conséquent chargé le prêcheur, son agent en France, de séjourner à Paris pour découvrir ce qu'il en était. Il y est, semble-t-il, parvenu. En même temps, Lord Henry a convié en Angleterre Sanglier, l'un des conseillers les plus fidèles de Louis XI, ainsi que deux clercs de haut rang, pour négocier un possible traité de paix ici, à Walmer. Ils sont venus. Lord Henry est sur ses gardes, bouleversé. Et, surtout, il sait que Sanglier a appris bien des choses sur lui, surtout au sujet du mystère entourant le décès de Lady Mary.
—
Vraiment ? s'exclama Colum.
—
Certes, admit Kathryn en se mordillant les lèvres, le tableau que je peins est flou, j'en conclus néanmoins que c'est Lord Henry en personne qui a rédigé la missive.
—
Quoi ?
—
Oui, je crois que c'est lui qui a envoyé cette lettre à Bourchier.
—
Pourquoi ?
—
Pour deux raisons. Lord Henry a pu se sentir responsable du trépas de son épouse, nous ignorons pourquoi, mais l'avouer pourrait lui purger l'âme. La seconde raison est, je pense, qu'il voulait que les Français le découvrent.
Colum éloigna sa chaire de la table.
—
Kathryn, c'est absurde, ce n'est pas logique !
— Si, écoutez, rétorqua-t-elle. L'épître était de la main de Lady Mary, or Lord Henry est un grand clerc, si érudit qu'il est gardien du Sceau secret du roi. C'est un scribe, un homme versé dans les lettres. Il ne lui est pas impossible d'imiter l'écriture de son épouse, son style, ses tournures de phrases, et il n'est pas inconcevable qu'il ait gardé l'un de ses sceaux et s'en soit servi en cette occasion.
— Mais comment les Français l'auraient-ils découvert ?
— Il y a un tabellion au village, répondit Kathryn. Benedict. Lord Henry lui fait porter des messages à droite et à gauche, dans le royaume et à l'étranger.
— Ah, je vois, dit Colum avec un sourire. Il a dû demander à Benedict le notaire de remettre la missive à Bourchier à Cantorbéry...
— Ensuite, Benedict est envoyé en France où, dans quelque taverne, il va révéler tous les ragots qu'il connaît à l'un des agents de Sanglier. Notre hôte étant un homme des plus malins, il a trompé les Français à dessein. Il voulait leur faire croire qu'il était faible, vulnérable, décontenancé et tourmenté par les racontars concernant la mort de sa femme, la disparition de Marshall, le livre des codes. Il a lancé cette invitation...
— Et les Français ont mordu à l'hameçon.
— Ce n'est pas une coïncidence, renchérit Kathryn, si le prêcheur est arrivé au moment où Sanglier et cette belle paire de clercs se trouvent à Walmer. C'est Lord Henry qui mène la danse. Maintenant qu'ils sont là, ils doivent suivre la cadence... je me demande où il les entraîne.
—
Et si nous l'affrontions ? proposa Murtagh.
Kathryn fit un signe de dénégation.
— Non, je peux me tromper. Bien que je sois persuadée que nous sommes sur la bonne voie, Dieu seul sait où elle mène. Bon, dit-elle en recommençant à manger, j'espérais recevoir une lettre de Thomasina.
Colum hocha la tête.
—
Tout va sans nul doute très bien à Cantorbéry. Thomasina doit jacasser entre ses dents, faire le tour de la maison, s'occuper de ceci ou de cela, ou assouvir sa vengeance dans le jardin sur les mauvaises herbes. Et soit Agnes et Wulf se disputent, soit ils la font tourner en bourrique.
—
Et mes patients ?
Colum se pencha et lui prit les mains.
—
Vos patients... il y a le père Cuthbert de l'hospice des Prêtres Indigents. Nous, nous savourons notre mariage !
—
Est-ce vrai, Irlandais ? Est-ce pour cela que vous m'avez amenée à Walmer ?
Colum retira sa main.
—
Cette affaire dans le village ? demanda-t-il en se grattant le crâne.
—
Les empoisonnements, répondit Kathryn en faisant courir son doigt sur le bord de son gobelet. Je ne pense pas qu'ils aient le moindre rapport avec ce qui se passe au manoir. Quelqu'un est résolu à se venger. J'ignore pourquoi et dans quel but. Je sais seulement - c'est une impression, une intuition - que ces
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