Le Testament Des Templiers
s’était demandé ce qu’il était devenu !
Dans la réponse de Barthomieu, il ne fut question que de sa rencontre avec Héloïse.
Abélard la rencontra alors qu’elle avait quinze ans. Malgré son jeune âge, elle était déjà renommée pour ses connaissances en lettres classiques. Elle habitait à Paris, dans la somptueuse maison de son oncle, le très riche chanoine Fulbert. Abélard fut à tel point ébloui qu’il s’arrangea avec l’oncle pour qu’il le loge, sous le prétexte de donner des leçons particulières à cette jeune fille si intelligente.
Lequel des deux séduisit l’autre deviendrait matière à débat, mais personne ne put ignorer la relation passionnelle qui s’ensuivit. Abélard négligea avec insouciance ses devoirs d’enseignement et, comble d’indiscrétion, laissa chanter en public des chansons qu’il avait écrites sur elle. Tragiquement, leur liaison se termina par la grossesse d’Héloïse. Abélard l’éloigna chez des parents à lui en Bretagne. Là, elle accoucha d’un enfant qu’elle prénomma Astrolabe, d’après l’instrument des astronomes, un nom qui en disait long sur l’étonnante modernité d’Héloïse.
L’enfant fut laissé aux soins de sa sœur, et les deux amants revinrent à Paris où Abélard négocia difficilement un pacte avec son oncle. Il était d’accord pour l’épouser, mais refusait que le mariage soit rendu public pour ne pas compromettre sa position à Notre-Dame. Fulbert et lui en vinrent presque aux mains en raison de leur désaccord sur ce point. En pleine tourmente, Abélard réussit à convaincre Héloïse de se retirer dans un couvent à Argenteuil, où, enfant, elle avait été à l’école.
Elle s’y rendit contre son gré, étant attachée aux biens terrestres et dépourvue de toute inclination pour la vie religieuse. Elle écrivit à Abélard des lettres lui demandant pourquoi elle devait se soumettre à une existence pour laquelle elle n’avait pas la moindre vocation et qui, surtout, leur imposait une séparation.
C’était en 1118, quelques mois avant que Bernard arrive à l’abbaye de Ruac. Son oncle était furieux qu’Abélard eût réglé le problème de sa nièce en l’éloignant plutôt que d’avoir publiquement opté pour une union honnête. Il ordonna à trois de ses hommes de main d’aller trouver Abélard dans la maison où il logeait. Deux d’entre eux le maintinrent sur son lit pendant que le troisième le châtrait sauvagement comme un animal de ferme. Ils jetèrent ses testicules dans sa cuvette de toilette et le laissèrent agonisant dans une mare de sang qui coagulait.
Abélard espérait mourir, mais ce ne fut pas le cas. Il était un monstre maintenant, une abomination. Fou de douleur, il contemplait sa destinée : Dieu Lui-même ne rejetait-Il pas les eunuques, les excluant de Son service comme étant des créatures impures ? La fièvre s’installa. Et il avait perdu tellement de sang que son corps et son esprit en étaient tout engourdis. Il resta dans un état critique jusqu’à ce qu’intervienne Guillaume de Champeaux, ce courageux protecteur des belles âmes, qui l’envoya à Ruac pour être soigné par le réputé frère Jean chargé de l’infirmerie de l’abbaye. Et au cœur de ce paysage paisible, après une longue convalescence physique et spirituelle, il était enfin prêt à faire la connaissance de l’autre éminent invalide de Ruac, Bernard de Clairvaux.
Bernard se souviendrait longtemps de leur première rencontre. En ce matin d’été, il attendait devant l’infirmerie quand en sortit un homme affreusement maigre, le dos voûté, un front haut creusé de rides et un sourire timide, presque gamin. Il marchait d’un pas lent en traînant les pieds. Bernard laissa échapper une grimace de compassion. À quarante ans, Abélard était déjà un vieillard, et, malgré sa propre infirmité, Bernard se sentait robuste comparé à cette pauvre âme.
Abélard tendit la main.
« Abbé Bernard, je voulais tellement faire votre connaissance. Je connais bien votre illustre réputation.
– Moi aussi, je voulais faire votre connaissance.
– Nous avons beaucoup en commun. »
Bernard haussa un sourcil.
« Nous aimons Dieu tous les deux, dit Abélard, et nous avons tous les deux été remis sur pied par les soupes vertes de sœur Clotilde et les infusions marron de frère Jean. Venez, marchons, mais pas trop vite, je vous prie. »
À partir de ce jour, les deux hommes
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