Le Testament Des Templiers
ne se quittèrent plus. Bernard avait du mal à croire à sa chance. Abélard le valait largement en matière de théologie et de logique. Grâce à leurs échanges et à leurs conversations, il pouvait exercer son esprit aussi bien que son corps. Tout en prenant l’air, ils débattaient de Platon et d’Aristote, du réalisme et du nominalisme, de la moralité de l’homme, de choses concrètes et abstraites. Ils faisaient assaut d’arguments, assumant tour à tour le rôle de professeur et celui d’étudiant, discutant de longues heures durant. Barthomieu détournait parfois les yeux de sa tâche et montrait par les fenêtres de l’infirmerie les deux hommes qui déambulaient dans la prairie en gesticulant.
« Regardez, frère Jean. Vos patients s’épanouissent. »
Bernard parlait avec passion de l’avenir – de son désir de se réengager dans les affaires de l’Église, de son ardeur pour propager les principes cisterciens. Abélard, pour sa part, refusait de considérer l’avenir. Il restait résolument dans le présent comme s’il n’avait ni passé ni futur. Bernard ne le contrariait pas. Il n’y avait aucun intérêt à profiter de la franchise manifestée par cette âme pitoyable.
Un matin, à quelque distance de l’abbaye, ils s’arrêtèrent pour admirer le paysage depuis un de leurs points de vue favoris surplombant la rivière. Les deux hommes s’assirent et restèrent silencieux. Sous l’effet des premières chaleurs du printemps, les premières fleurs de la saison dégageaient un parfum capiteux.
« Vous êtes au courant de mon passé, n’est-ce pas Bernard ? demanda soudain Abélard.
– Je le connais.
– Alors vous avez entendu parler d’Héloïse.
– J’en ai entendu parler.
– J’aimerais que vous la connaissiez mieux, car si vous la connaissiez, vous me connaîtriez mieux. »
Bernard lui jeta un regard surpris.
Abélard mit la main dans son habit et en retira un parchemin plié.
« Voici une lettre d’elle. Vous me feriez honneur en la lisant et en me donnant votre avis. Elle ne s’y opposerait pas. »
Bernard s’y plongea, ayant peine à croire qu’une femme de dix-huit ans en était l’auteur. C’était une lettre d’amour, en rien banale, mais traduisant un sentiment élevé et pur. Il fut ému par ses mots mélodieux et la passion qu’elle manifestait. Au bout de quelques minutes, il dut s’arrêter pour essuyer une larme.
« Dites-moi de quel passage il s’agit. »
Bernard le lut à haute voix.
« Ces cloîtres ne doivent rien à la charité publique ; nos murs n’ont pas été élevés grâce à l’usure des publicains, ni leurs fondations posées grâce à des extorsions. Le Dieu que nous servons ne voit que richesses innocentes et fervents inoffensifs que vous avez placés ici. Quel que soit ce jeune vignoble, il n’existe que grâce à vous, et il vous appartient de vous consacrer à le cultiver et à l’améliorer ; cela devrait être la principale occupation de votre vie. Bien que notre sainte renonciation, nos vœux et notre genre de vie semblent nous protéger de toute tentation. »
Abélard acquiesça tristement.
« Finissez, je vous prie. »
Quand il eut terminé, Bernard replia la lettre et la rendit.
« C’est une femme remarquable.
– Merci. Bien que nous soyons mariés, elle ne peut plus être ma femme. Je suis mort à l’intérieur, la joie est éteinte pour toujours. Néanmoins, j’ai l’intention de dédier le restant de mes jours à elle et à Dieu. Je vivrai comme un simple moine. Elle vivra comme une simple nonne. Nous serons comme frère et sœur en Christ. Bien que je doive vivre dans le chagrin permanent de mon sort, grâce à notre amour de Dieu, nous pourrons nous aimer elle et moi. »
Bernard toucha le genou de l’homme.
« Venez, frère. La journée est belle. Marchons encore. »
Ils suivirent la rivière dans le sens du courant, bien qu’elle ait été plus bas dans la vallée. Les pluies de l’été avaient été fortes, et les berges gorgées d’eau rendaient la rivière marron et turbulente, mais sur la large corniche le sol était sec et parfaitement solide. À chaque pas, leurs sandales claquaient contre leurs talons. Ils s’approchèrent de l’extrémité de la falaise, plus loin qu’ils ne s’étaient jamais risqués, mais il faisait un temps magnifique et tous deux avaient assez d’énergie pour continuer. Il n’y avait nul besoin de parler ; c’eût
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