Le Testament Des Templiers
Le trait de charbon de bois était fin et n’adhérait pas bien à la surface. Le résultat ne lui paraissait pas satisfaisant, pas plus que les contours qu’il avait dessinés près du genou de sa mère. Il se plaignit à haute voix. Pris d’une soudaine inspiration, il vida l’eau magique restée dans le bol de pierre, et pressa un gros morceau de graisse de renne dans le fond. Il se saisit d’un autre bâton enflammé avec une extrémité très carbonisée et l’enfonça en tournant dans la graisse jusqu’à ce qu’il soit noir et onctueux. Puis il le repassa sur la ligne incurvée, obtenant cette fois un trait épais et noir qui adhérait parfaitement à la surface du rocher.
Il travailla tranquillement une bonne partie de la matinée, trempant des bâtons enflammés pleins de graisse et peignant autant avec sa main qu’avec son cœur. Quand il eut terminé, il grommela et somma Uboas de venir à côté de lui.
Elle eut le souffle coupé en découvrant le spectacle. Un cheval parfait, aussi beau que s’il était vivant. Il galopait, les sabots en action, la bouche ouverte, aspirant l’air, les oreilles pointées vers l’avant. Tal l’avait doté d’une crinière épaisse si réelle qu’Uboas fut tentée de la caresser pour sentir sa douceur soyeuse. Il avait un œil fascinant, de forme ovale, avec un disque noir au centre, un œil perçant, omniscient. Jamais elle n’avait vu plus belle forme inanimée.
Elle se mit à sangloter.
Tal voulut savoir ce qui n’allait pas et elle le lui dit. Elle était émue par sa splendeur, mais elle était aussi effrayée.
Par quoi ?
Par ce nouveau pouvoir que Tal possédait. C’était un homme différent de celui qu’elle connaissait. L’eau magique l’avait rapproché du monde des esprits et des ancêtres, il était devenu un chaman. L’ancien Tal avait disparu, pour toujours peut-être. Elle en avait peur à présent. Puis sa véritable inquiétude s’exprima dans un torrent de larmes. Voudrait-il d’elle pour femme ? L’aimerait-il encore ?
Il lui donna sa réponse. Oui.
Quand le père de Tal mourut, il n’était plus qu’un sac d’os émacié. On le porta jusqu’à un endroit sacré, un bras de la rivière où les grandes herbes et les roseaux descendaient doucement jusqu’à l’eau, un endroit où il était venu toute sa vie écouter la voix du courant. Son corps fut allongé sur la pente. De loin, Tal observa son père une dernière fois. On aurait dit que le vieil homme se reposait. S’il revenait le lendemain, il n’y aurait plus que des os. Et dans trois jours, plus rien.
L’intronisation de Tal ne donna lieu à aucune cérémonie ni aucun discours. Ce n’était pas leur coutume. Si les membres du clan avaient eu le moindre doute sur les capacités de Tal à les conduire, peut-être aurait-on entendu des murmures, mais les anciens qui se souvenaient du grand-père de Tal, et le très ancien qui se souvenait même de son arrière-grand-père, reconnaissaient que Tal serait un chef remarquable. Certes, il était très jeune, mais c’était un guérisseur et un homme apte à communiquer avec le monde naturel et le royaume des ancêtres. Ils craignaient beaucoup la colère de Tal, ce moment où on ne pouvait pas l’approcher et où il était d’une méchanceté terrible. Et il y avait des rumeurs concernant une grotte magique dans les falaises, que personne ne connaissait, sauf Tal et sa nouvelle femme, Uboas.
Un jour, Tal conduisit le clan sur le sommet de la colline pour qu’ils se rendent compte par eux-mêmes de ce qui l’obsédait. Malgré le beau temps, l’expédition se prolongea, car les gens les plus âgés devaient marcher avec des bâtons, et l’enfant que portait Uboas dans son ventre lui pesait lourdement. Ils arrivèrent quand le soleil était au plus haut, éclaboussant la rivière de ses rayons. Tal fit un feu sur la crête et alluma une torche enduite de graisse d’ours pour qu’elle brûle mieux et plus lentement.
Il pénétra dans la grotte et le clan s’avança derrière lui en traînant les pieds.
La torche facilita la transition de la lumière du jour à l’obscurité. Éclairé par la lueur chuintante, son peuple fut sidéré. Une jeune femme poussa un cri, craignant d’être piétinée par les chevaux sur sa gauche et le bison sur sa droite. Un petit garçon se sentit tout étourdi à la vue d’un énorme taureau noir flottant au-dessus de lui, et il se mit à sauter sur place pour que
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