Le Testament Des Templiers
son téléphone dans sa poche. Isaak ne l’avait pas quitté des yeux.
« Pour couronner le tout, Isaak, le manuscrit de Ruac a été volé, probablement la nuit des meurtres. Tout ça ne peut pas être le fruit du hasard. Il est capital maintenant pour nous de savoir ce que dit le manuscrit. Ce doit être la clé, alors, je vous en prie, allons-y. »
Isaak imprima le long message en provenance de Belgique. Il mit ses lunettes et commença à traduire le latin, en s’excusant pour ses hésitations, et en rappelant tristement que c’était Hugo l’expert en latin, pas lui :
C’est un mystère pour moi de voir comment des hommes de même opinion, unis dans l’exaltation du Christ, peuvent en arriver à des conclusions opposées en ce qui concerne une expérience commune. Alors que Jean, Abélard et moi-même croyons fermement que l’infusion rouge que nous avions préparée était un moyen de parvenir à une illumination spirituelle et à une vigueur physique, Bernard y était fermement opposé. Alors que nous avions pris l’habitude d’appeler ce liquide thé d’initiation, Bernard décréta que c’était le breuvage du diable. La sanction de Bernard nous porta à tous un grand coup, mais davantage encore à Abélard, qui en était arrivé à aimer et à respecter mon frère aussi profondément que s’ils étaient de la même chair et du même sang. Bernard prit congé de Ruac et retourna à Clairvaux quand nous déclarâmes tous les trois que nous ne renoncerions pas à profiter des plaisirs de l’infusion. Et non seulement nous ne voulions pas y renoncer, mais nous savions que cela aurait été hors de notre pouvoir.
27
P RIEURÉ DE S AINT- M ARCEL,
1142
P our un prieuré aussi modeste que celui de Saint-Marcel, c’était un rassemblement extraordinaire. Situé bien à l’écart de la Saône au cœur d’épais taillis, le prieuré n’était pas préparé à faire face à un afflux de pèlerins. Ils arrivaient de tous les horizons de France, et personne ne pouvait dire avec certitude comment une population aussi disparate pouvait avoir eu connaissance de la mort imminente d’un homme.
Abélard, le grand professeur, le philosophe et le théologien, était mourant.
Étudiants, disciples, admirateurs, ils représentaient toutes les étapes qui avaient jalonné son existence – Paris, Nogent-sur-Seine, Ruac, les abbayes de Saint-Denis et Saint-Gildas-de-Rhuys, le Paraclet de Ferreux-Quincey et, pour finir, ce dernier sanctuaire intime près de Cluny. Il avait passé sa vie à enseigner et à voyager, à réfléchir et à écrire. Et sans cette peste blanche honnie, la consomption qui lui dévorait les poumons, il aurait continué à attirer beaucoup d’autres disciples tellement il avait de charisme.
L’infirmerie consistait en une hutte au toit de chaume, et, dans la clairière piétinée qui la séparait de la chapelle, une quarantaine d’hommes avaient établi un camp pour prier, parler et se rendre à son chevet par un ou deux.
Entre Ruac et Saint-Marcel, s’étaient écoulées vingt-quatre années passées à explorer la vie et l’amour. Abélard avait quitté Ruac, une fois retrouvés sa santé et son moral, et il avait voyagé jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis, où il avait endossé l’habit de moine bénédictin, et entamé une période incroyablement riche de méditation et d’écriture. Non seulement il avait produit un traité controversé sur la sainte Trinité, au grand dam des tenants de l’orthodoxie de l’Église, mais il avait également continué à écrire des lettres plus passionnées que jamais à sa bien-aimée Héloïse, toujours installée au couvent d’Argenteuil.
Il était tout sauf impulsif. Son tempérament curieux, son intelligence aiguë et son énergie sans bornes le poussaient à discuter, à examiner et à bousculer le dogme établi. Et à chaque fois que son courage fléchissait et que son rythme se ralentissait, il s’en allait avec son panier d’osier dans les champs et les prairies pour ramasser des plantes et des baies, au grand amusement de ses frères moines qui ne savaient pas ce qu’il faisait avec.
Trois sujets occupaient toutes ses pensées : la théologie, la philosophie et Héloïse. Concernant les deux premiers, peu d’hommes avaient l’ouverture d’esprit suffisante pour discuter avec lui ou partager ses préoccupations intellectuelles. Quant au dernier, tous les hommes pouvaient comprendre ses regrets.
Héloïse, la
Weitere Kostenlose Bücher