Le tombeau d'Alexandre
s’était pas intéressé à son sort, qui lui était totalement indifférent. Mais si elle avait succombé à ses blessures... Il ferma les yeux, le poing fermé contre la bouche. Il préférait ne pas y penser.
Hélas, trouver un donneur ne suffisait pas. Encore fallait-il que le professeur Rafai autorise Leila à subir la greffe de moelle osseuse. C’était précisément pour connaître sa décision que Mohammed s’était rendu sur place.
— Inch’ Allah, inch’ Allah, murmurait Mohammed sans discontinuer.
Ce mantra ne le soulageait pas vraiment. Si seulement Nur avait été là... Mais elle n’avait pas eu la force de venir. Encore plus terrifiée que lui, elle était restée à la maison pour s’occuper de Leila.
— Inch’ Allah , répéta-t-il, inch’ Allah.
La porte du service d’oncologie s’ouvrit brusquement. Une jeune infirmière rondelette avec de grands yeux marron sortit. Mohammed essaya de déchiffrer son expression, mais ne parvint pas à se concentrer.
— Veuillez me suivre, s’il vous plaît, dit-elle.
Chapitre 25
I
Karim Barak avait les pieds en sang, tant il avait arpenté ces routes défoncées dans des chaussures trop serrées aux semelles décollées. Il regrettait d’avoir répondu à l’appel d’Abdallah et d’avoir accepté ses conditions. Cent dollars à celui qui trouverait cette foutue jeep ! C’était trop beau pour être vrai. Quand il avait réparti les quartiers à fouiller, Abdallah l’avait affecté à cette zone rurale complètement paumée. Les autres avaient pouffé de rire. Comme si quelqu’un allait se garer là ! Karim se demandait pourquoi il s’obstinait à chercher. Mais il y avait une forte récompense à la clé. Et puis, s’il offrait cent dollars, Abdallah allait probablement toucher cinq à dix fois cette somme. Pour un jeune homme rusé comme Karim, cela signifiait qu’il y avait des opportunités à exploiter. Mais il faudrait vraiment un coup de chance.
La nuit tombait déjà lorsque Karim aperçut le chemin menant à la ferme et les bâtiments délabrés qui le longeaient sur environ deux cents mètres. Il avait si mal aux pieds que cette distance lui parut énorme. Soudain, il eut envie d’un grand bol de kushari, comme sa tante savait si bien le faire, accompagné d’un petit supplément d’oignons frits. Une fois rassasié, il se laisserait tomber sur son matelas pour une bonne nuit de sommeil. La jeep ne pouvait pas être là de toute façon. Il fit demi-tour et rebroussa chemin en clopinant douloureusement. À peine avait-il fait vingt pas qu’un minibus chargé de lycéennes passa avec fracas devant lui. Une des jeunes filles le regarda et lui sourit timidement. Elle avait une belle peau, des yeux magnifiques et des lèvres rouges et pulpeuses. En la voyant, il oublia le kushari , son lit et ses pieds endoloris. Voilà ce qu’il voulait vraiment : une belle jeune femme qui deviendrait la sienne. Et il savait que ce rêve ne se réaliserait que s’il gagnait suffisamment d’argent.
Il se retourna vers les bâtiments de la ferme et décida de pousser ses recherches jusque-là.
II
Mohammed parvenait à peine marcher pour suivre l’infirmière. Il devait faire un effort pour se souvenir qu’il fallait mettre un pied devant l’autre. Elle le conduisit dans un grand bureau, où le professeur Rafai parcourait les dossiers suspendus d’un tiroir à archives. Mohammed l’avait souvent vu pendant qu’il faisait ses visites mais n’avait jamais eu d’entretien privé avec lui. Il ne savait pas quoi en penser. Certains médecins prenaient plaisir à annoncer de bonnes nouvelles ; d’autres considéraient qu’il était de leur responsabilité de communiquer les mauvaises. Rafai se tourna vers lui avec un sourire professionnel qui ne trahissait aucune émotion.
— Asseyez-vous, asseyez-vous, dit-il en lui montrant la petite table ronde située dans un angle de son bureau.
Il sortit un dossier marron et vint le rejoindre.
— J’espère que vous n’avez pas attendu trop longtemps.
La gorge nouée, Mohammed se demanda s’il était possible que Rafai ne comprenne pas. Brusquement, il eut envie de sortir et de retourner dans la salle d’attente. Quand on n’a que l’espoir, on fait tout pour s’y accrocher. Rafai ouvrit le dossier et se mit à lire un document à travers ses demi-lunes. Il fronça les sourcils, comme s’il venait de découvrir quelque chose dont il n’était pas au
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