Le tombeau d'Alexandre
courant.
— Vous êtes conscient de ce qu’aurait impliqué une greffe de la moelle osseuse ? demanda-t-il sans lever les yeux. Vous vous rendez bien compte de ce que vous me demandiez de faire subir à votre fille ?
La catastrophe avait un effet engourdissant. Mohammed avait froid, mal au cœur. Et pourtant, il était affreusement calme. Il se demanda avec sang-froid comment il allait annoncer la nouvelle à Nur, si Leila allait comprendre ce que cela signifiait.
Rafai poursuivit implacablement.
— Nous désignons cette procédure sous le nom de greffe de la moelle osseuse, mais cela prête à confusion. D’ordinaire, la chimiothérapie vise uniquement les cellules à division rapide cancéreuses mais, dans cette procédure, nous empoisonnons délibérément tout l’organisme de la personne afin de détruire toutes les cellules à division rapide, cancéreuses ou non. Et cela inclut la moelle osseuse. La greffe ne constitue pas le traitement. Elle est nécessaire parce qu’une fois que nous avons annihilé ces cellules à division rapide, le patient mourrait s’il ne bénéficiait pas d’une nouvelle moelle. C’est une intervention traumatisante et extrêmement douloureuse, sans aucune garantie de succès. Des phénomènes de rejet peuvent survenir, y compris en cas de compatibilité parfaite. Et même si la greffe prend, la convalescence est très longue. Il faut constamment faire des tests. Ce n’est pas une affaire de quelques jours. Les cicatrices restent à vie. Et puis il y a des complications : stérilité, cataracte entraînant la cécité, cancers secondaires, complications hépatiques, rénales, pulmonaires, cardiaques...
À ce moment-là, Mohammed comprit que Rafai ne l’avait pas reçu dans son bureau parce que la tâche était difficile mais parce qu’il se complaisait dans l’exercice du pouvoir. Il tendit la main et poussa le dossier contre la table.
— Dites ce que vous avez à dire, exigea-t-il. Soyez direct. Et regardez-moi dans les yeux.
Rafai soupira.
— Comprenez que nous ne pouvons pas faire une greffe de moelle osseuse à tous les patients qui en ont besoin, expliqua-t-il. Nous affectons nos crédits en fonction des preuves cliniques, des chances de réussite. Or, je crains que, dans le cas de votre fille, le lymphome ait atteint un stade de développement tel que...
— Parce que vous n’avez pas voulu faire les tests à temps ! cria Mohammed. Parce que vous n’avez pas voulu faire les tests !
— Sachez que nous aimons tous votre...
Mohammed se leva.
— Quand avez-vous pris cette décision ? Avant que nous fassions les tests ? C’est ça, n’est-ce pas ? Pourquoi ne nous avez-vous rien dit ? Pourquoi nous avez-vous laissés espérer ?
— Vous vous trompez. Nous n’avons rien décidé tant que...
— Est-ce que je peux faire quelque chose ? N’importe quoi ? Je vous en supplie. S’il vous plaît. Vous ne pouvez pas faire ça.
— Je suis désolé, dit Rafai avec un sourire inexpressif.
L’entretien était terminé.
Jusque-là, Mohammed n’avait jamais compris les tentatives de suicide ratées, généralement considérées comme des appels au secours. Mais tout à coup, il eut la certitude que certains sujets étaient tout simplement trop difficiles à aborder sans un acte fort qui montre l’intensité des émotions éprouvées. Il ne pouvait pas annoncer cette nouvelle à Nur et à Leila. C’était au-dessus de ses forces. Alors il prit Rafai par le revers de sa veste et le plaqua contre le mur de son bureau.
III
Sur la route de Siwa, Gaëlle ne put se faire une idée de ce qui l’attendait dans l’oasis. Sa mère avait une petite assiette fissurée sur la cheminée, sur laquelle il était écrit : « Le Génie, c’est un pour cent d’inspiration et quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration. » Grâce à la climatisation défectueuse du 4 x 4 qu’Elena avait loué et à l’humidité ambiante, les sept heures de route le long de la zone des pluies de la côte méditerranéenne, urbanisée à outrance, puis à travers le désert, dont la monotonie n’était rompue que par quelques groupes de chameaux errants et une série de stations-service délabrées, avaient été particulièrement pénibles. Mais arrivées en haut d’une côte, Gaëlle et Elena découvrirent enfin une rupture dans ce désert interminable : des lacs salés scintillaient au milieu de champs d’un vert argenté. Lorsqu’elles
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