Le tombeau d'Alexandre

il serrait la main. Un véritable culte de l’ego.
    Ils arrivèrent à la cuisine, chauffée par une grande cheminée. Un immense réfrigérateur jauni se mit en route au moment où ils entrèrent et vibra bruyamment. Ali lui donna un coup de pied et la vibration s’amoindrit.
    — Je vous offre un verre ? proposa-t-il. Vous ne savez peut-être pas que l’alcool est interdit à Siwa. Les jeunes hommes ont un penchant pour le lagmi, un alcool que nous fabriquons depuis des lustres. Et le lagmi leur donne un penchant les uns pour les autres, alors... plus d’alcool ! Néanmoins, en ce sens, ma maison est une véritable oasis !
    Gaëlle trouvait sa bonne humeur bouillonnante quelque peu déconcertante. Elle avait l’impression qu’il se moquait d’elles. Il ouvrit le réfrigérateur, débordant de fruits et de légumes frais, de packs de bières et de vin blanc. Il se tourna vers elle en agitant le doigt.
    — Votre père m’a donné de mauvaises habitudes, avoua-t-il. C’est terrible d’aimer l’alcool. À chaque fois que mon stock est épuisé, je dois m’inventer une réunion du CSA au Caire. Or, je déteste me rendre au Caire. Cela signifie que je dois aller saluer le secrétaire général et, croyez-moi, c’est un privilège dont j’apprécie la rareté.
    Après avoir rempli trois verres, il reconduisit ses invitées dans le hall, ouvrit une porte bleue qui était fermée à clé, alluma la lumière et les fit entrer. Ils furent accueillis par un délicieux courant d’air frais. La pièce était grande et recouverte de tapis. Un climatiseur imposant soufflait sous les fenêtres verrouillées, dont les volets étaient fermés. Un ordinateur, un scanner et une imprimante couleur trônaient sur deux bureaux, à côté de trois armoires à archives grises et d’étagères blanches remplies de livres surplombant des vitrines fermées à clé. Gaëlle remarqua les angles droits des murs. Il n’y avait aucun risque que cette pièce se transforme en boue.
    — Si je comprends bien, vous venez faire des recherches concernant nos sites anciens. Ma bibliothèque est à votre disposition. Tout ce qui a été publié sur Siwa et le désert occidental est ici. Et tout ce qui n’a pas été publié également.
    — C’est très gentil à vous, dit Elena.
    — Nous sommes tous archéologues. Pourquoi aurions-nous des secrets les uns pour les autres ?
    — Avez-vous des photographies ?
    — Bien sûr.
    Il ouvrit le tiroir du haut d’une des armoires à archives et en sortit un grand rouleau qu’il déroula devant elle. C’était un quadrillage dont chaque carré avait un numéro de référence unique correspondant à un dossier. Et chaque dossier contenait des photos aériennes en noir et blanc, ainsi que quelques gravures en couleur. Pendant qu’il expliquait son système d’archivage à Elena, Gaëlle flâna le long des étagères. Elle y trouva des coupures de presse sur les momies dorées de Bahariya et des ouvrages sur Kharga, Dakhla, Farafra et sur la géologie du désert. Deux étagères étaient entièrement consacrées à Siwa. Elle sortit Une visite à Siwa, de Quibell, et en parcourut les pages fragiles et jaunies par le temps. Elle aimait le côté fantaisiste qu’avait ce genre de livres avant que la science ne trouve la fantaisie démodée.
    — Vous connaissez ces livres ? murmura Ali, qui avait surgi à côté d’elle.
    — Pas tous, avoua-t-elle. En fait...
    Il rit, mais il y avait quelque chose de plus doux, de plus authentique dans son rire. Il se baissa pour ouvrir un meuble bas, dans lequel étaient suspendus des dossiers gris et marron remplis de feuilles volantes. Des carnets et des journaux étaient empilés à côté. Il prit un dossier vert épais, qu’il tendit à Gaëlle.
    — Vous connaissez le Manuscrit de Siwa ? L’histoire de notre oasis, consignée par les musulmans depuis...
    Il évoqua d’un geste de la main des temps immémoriaux.
    — C’est moi qui ai écrit ces notes au stylo rouge, précisa-t-il. J’ose espérer qu’elles vous seront utiles.
    Il reposa le dossier et retourna aux étagères.
    — Ah ! Ahmed Fakhry. Un grand homme. Mon mentor et mon ami. Avez-vous lu ses livres ?
    — Oui, répondit Gaëlle.
    C’étaient les seuls ouvrages qu’elle avait pu consulter jusque-là.
    — Parfait. Ah ! Et ça ! Nouveau voyage dans la Haute et Basse-Égypte, la Syrie et le Dar-Four (1792-1798), de W.G. Browne. Il fut le premier Européen à