Le train de la mort
français sans doute, un prisonnier de guerre. Je ne puis réprimer un sentiment d’envie. Je voudrais bien être à sa place !
Ulm
Mélancolie. Nous sommes en Allemagne. Les maisons ont un autre type, elles ont été complètement peintes de couleur neutre qui les fait se confondre avec la teinte des champs. Sans deviner encore le sort horrible qui nous attend, nous nous sentons cette fois hors de la patrie.
Encore un jour. Le ciel est gris. En proie à la faim et à la soif, nous voyons défiler lentement, les champs, les villages, les gares aux noms qui ne nous disent rien. Combien de temps allons-nous encore rouler ainsi ? Qu’on arrive n’importe où, mais qu’on arrive !
Ah ! Une gare plus importante. Et copieusement bombardée ! Cette fois un nom bien connu à nos oreilles françaises : Ulm. Et dire qu’un de mes arrière-grands-pères, général de l’Empire, s’est distingué là en 1805 ! S’il voyait en ce moment son descendant… !
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Longue halte cclxxxvi . Dans le hall, aux lumières camouflées, des gens passent devant nous sur le quai. Intrigués par l’odeur insupportable qui se dégage de notre train, ils regardent furtivement de notre côté, se bouchent le nez et s’éloignent sans mot dire, l’air morne et résigné. Ont-ils honte ? En tout cas aucun enthousiasme ne se lit sur ces visages.
Burgau.
Il pleut cclxxxvii . Nous respirons. Nous buvons un peu (je crois une cuillère). Dans cette petite gare sur le quai attendait le train « Nach-Ulm » – direction Ulm. Une jeune fille regardait ce train fantôme. La seule semble-t-il, au milieu de l’indifférence des autres voyageurs, qui s’intéressait à nous. Elle regarda encore, se recula vers le bâtiment de la gare, essuya une larme et fit un petit signe de la main. Cela fait vingt-six ans et pourtant je me souviens de ce fait insolite, peut-être unique.
Augsbourg.
Les réactions cclxxxviii des Allemands à la vue de notre convoi sont d’ailleurs très diverses : les uns, les jeunes surtout, nous montrent du doigt en ricanant et nous insultent : « Juden ! Alles ins Krematorium ! »
— « Juifs ! Tous au crématoire ! » Ce fut le cas par exemple en gare d’Augsbourg, dans la matinée du 3 juillet. Notre train est garé près d’un convoi de jeunes gamins portant le brassard de la « Hitlerjugend », la jeunesse hitlérienne. Ils s’amusent follement en nous voyant et nous jettent des cailloux par les ouvertures du wagon. Quelle haine dans ces regards juvéniles ! D’autres, des gens d’un certain âge en majorité, regardent rapidement notre convoi et s’écartent en hâtant le pas, le visage renfrogné et soucieux.
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Malgré cclxxxix l’importance industrielle de cette cité dans l’effort de guerre allemand, nous n’y découvrons pas de destruction…
Où sont donc tombées les bombes alliées ?
Une ville en ruine aurait été pour nous le meilleur réconfort, mais rien de semblable ici, rien pour consoler nos yeux avides. Les conversations sur ce sujet vont bon train, pour expliquer ceci ou cela. Ce brave Lajoix, tout petit, se hausse tant qu’il peut sur ses jambes, ses gros yeux de myope au ras de la lucarne, il scrute, cherche, mais rien, pas une seule ruine. Nous ne devons pas nous trouver dans le bon endroit, ou bien tout a été déblayé. Les usines sont certainement souterraines à présent, ou alors les aviateurs alliés sont trop maladroits !
Toute cette agitation verbale, permet pendant quelques heures d’oublier notre situation présente, notre lamentable état physique. L’esprit occupé, nous oublions quelque peu la réalité, nos souffrances multiples, notre manque d’eau, mais non cette odeur épouvantable qui nous sert depuis quarante-huit heures d’atmosphère.
Cet esprit de vengeance, de haine qui se manifeste pour tout ce qui est allemand, nous restera durant toute notre déportation, comme notre indifférence glaciale, vis-à-vis des épreuves parfois terribles qui frapperont ce peuple.
Le raffinement dans la monstruosité et l’humiliation démontré par les SS, vis-à-vis de l’être humain, insensibiliseront encore longtemps même les plus sensibles d’entre nous !
Munich.
Vers ccxc 11 heures du matin, nous atteignons München… Munich ! Certains dans le wagon affirmèrent alors que notre destination devait être Dachau. Ce nom semblait connu, tristement connu par certains ; c’était paraît-il le plus vieux camp
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