Le tresor de l'indomptable
Turquie, une table centrale sur tréteaux recouverte d’une longière blanche chatoyante et l’éclatante lumière des chandeliers qui faisait reculer les ombres avaient transformée en un lieu confortable. Les braseros pétillaient et un feu crépitait joyeusement dans l’âtre. Corbett jouait les hôtes détendus, offrant à chaque arrivant une petite coupe d’hypocras avant de l’accompagner prendre place à table. Les cuisiniers s’étaient surpassés. Le magistrat vérifia que le pichet de vin circulait. Au début, l’atmosphère était froide, voire hostile. Pourtant, quand la soupe aux amandes vertes eut été servie, suivie d’huîtres à la bière, d’écrevisses, de porc émincé aux oeufs, de hachis, de chapon rôti dans une sauce noire, de venaison au poivre, et qu’on eut rempli derechef les cruches de vin, les convives abandonnèrent leur réserve. Seul Castledene, toujours blême, nerveux et anxieux après sa brève, mais franche entrevue avec Corbett plus tôt ce jour-là, était aux aguets.
— Sir Hugh, déclara le père Warfeld en levant sa coupe, cela est fort aimable de votre part. Mais en quel honneur... ?
— Eh bien, Messire...
Corbett se laissa aller dans sa chaire au haut bout de la table et lança un coup d’oeil à Lady Adelicia. Elle était fort belle dans sa robe fourrée et son mantel bleu, sa luxuriante chevelure, retenue par une agrafe précieuse, en partie cachée sous un délicat voile blanc.
— Eh bien, Messire, pour fêter mon départ.
Desroches repoussa son plat d’argent et jeta un regard interrogateur au magistrat.
— Votre départ ? La mission que vous a confiée le roi ici, à Cantorbéry, est donc achevée ?
— Oui, Messire, elle est fidèlement accomplie grâce à un homme nommé Edmund Groscote ! Du moins c’est ainsi qu’il fut appelé sur les fonts baptismaux, précisa Corbett. Sous le nom du Pèlerin, il s’est mêlé à des trouvères, des mimes et des musards. Mais c’était jadis un hors-la-loi traqué par Hubert Fitzurse, le venator hominum. Il a réussi à obtenir une description physique d’Hubert par d’habiles moyens dont il a le secret.
— Et ? interrogea Lady Adelicia.
— Pour le moment, le Pèlerin a demandé asile à l’église St Michael, à Cornhill, à Londres. Il ne parlera qu’à moi. J’ai envoyé Chanson et Ranulf sur les routes glacées pour s’emparer de lui et, soit le conduire à la Tour ou à Newgate, soit l’amener ici. Je pense que ce sera à la Tour. Si le temps se maintient, demain je quitterai à coup sûr Cantorbéry. Vous comprenez, le Pèlerin a mené une vie chaotique, des hommes et des femmes travaillent pour moi. D’une certaine façon, ils forment une société secrète ; je les appelle « les ordinaires ». Ils rassemblent des miettes, des bribes d’information, des détails ; le Pèlerin est l’un d’entre eux et il a mérité ma protection.
— Qui d’après vous, bafouilla Lechlade au bas bout de la table, qui d’après vous est ce Fitzurse ?
— Ce qu’il prétend être, Maître Lechlade : un assassin qui rôde dans l’ombre.
— Et ces épouvantables meurtres à Maubisson et ailleurs ? intervint Desroches.
— Je n’ai pas encore résolu cette question, mentit Corbett. Pas plus que celle du malheureux garde de l’échevinage occis à Sweetmead, ni comment Sir Rauf ou Berengaria ont été assassinés. Vous connaissez la nouvelle au sujet de Wendover, n’est-ce pas ?
Ils acquiescèrent. Corbett jeta un coup d’oeil vers Lady Adelicia, qui se contenta de baisser la tête et, saisissant son couteau, joua avec un morceau de viande dans son plat ; elle toussa, embarrassée, et leva son gobelet pour cacher sa gêne.
— Quand nous capturerons Hubert, continua Corbett, je suis sûr que les officiers du roi feront éclater la vérité, mais, ce qui est plus important – il sourit –, j’ai trouvé la Carte du Cloître !
Le silence accueillit ses paroles. Même Lechlade releva soudain la tête.
— Oui, déclara le clerc, nous savons comment Stonecrop, qui a trahi Adam Blackstock, a survécu au combat naval sur la côte de l’Essex. Il a volé la carte avant la prise de L’Indomptable. Il s’est caché quelque temps puis il a pris la route. Stonecrop avait besoin de bon argent pour découvrir ce trésor, aussi est-il entré en contact avec Sir Rauf Decontet et lui a-t-il apporté le document. Mais Sir Rauf a tué Stonecrop, dérobé la carte et l’a
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