Le tresor de l'indomptable
taquiner Ranulf au sujet de sa peur des bois.
Puis il regagna sa propre chambre, ferma et verrouilla la porte, et embrassa la pièce du regard. Il était content d’être là, bien que la tâche qui l’attendait l’inquiétât. Il logeait toujours dans des abbayes ou des prieurés, et cette chambre justifiait son choix : elle était propre, bien balayée et sentait bon. L’ameublement en était simple, mais agréable, des tentures aux vives couleurs ornées des symboles de la Passion du Christ sur les murs, un crucifix en bois et un diptyque au cadre doré. Les draps du lit, nets et empesés, avaient bonne apparence. Une table était nichée sous la fenêtre à meneaux vitrée et la pièce se parait d’une sellette, d’un coffre et d’une armoire. Corbett regarda ses propres coffres, cassettes et sacs de la Chancellerie entassés dans un coin. Ils attendraient. Il ouvrit les courtines et s’assit sur le lit pour ôter ses bottes. Il se demanda ce que Maeve faisait à Leighton Manor. Elle avait dû se lever tôt, comme d’habitude, pour vaquer à ceci ou cela, entrant dans la pièce de travail, sortant dans la cour. Il ferma les yeux : son foyer lui manquait terriblement, même ici, dans une pièce confortable d’une riche abbaye.
Il tenta pendant quelques instants de rassembler ses idées. Il entendait, en bas, Ranulf qui retournait à l’hôtellerie et Desroches qui criait de joyeux adieux. Il était sur le point de se lever pour ouvrir les fermoirs de l’un des sacs de la Chancellerie quand il entendit un coup sourd contre le volet de l’une des fenêtres les plus éloignées. Il se précipita et tira avec précaution les lourds vantaux de bois. Une bouffée d’air froid entra. La fenêtre n’avait ni verre ni parchemin huilé. Alors qu’il se demandait ce qui avait pu causer ce bruit, il aperçut un carreau d’arbalète fiché profondément dans le bois. Il fit sur-le-champ un pas de côté et jeta un regard dehors. En bas s’étendait une cour et, un peu plus loin, une végétation serrée et des buissons drapés d’une neige abondante. C’est là que devait se tapir le mystérieux archer, bien que le magistrat ne pût distinguer ni mouvement ni trace. L’assaillant avait sans doute franchi le mur d’enceinte de l’abbaye ou s’était glissé par une porte latérale. Il devait aussi savoir où logeait Corbett. Le clerc regarda le carreau d’arbalète et remarqua qu’un morceau de parchemin y était attaché. Il s’accroupit, détourna un peu la tête pour se protéger du froid, détacha la cordelette et tira le vélin. Puis il se hâta de refermer les volets, s’approcha de la fenêtre garnie de verre et déroula le document. C’était un autre avertissement :
Voici ce que dit Hubert, fils de Fitzurse, l’Homme qui lit dans l’avenir. Je vous ai déjà prévenu une fois, émissaire du roi ! Je vous préviens à présent pour la seconde fois. Ne vous mêlez point de ce qui ne vous concerne pas. Dites à Édouard d’Angleterre qu’il ne compte pas, pour l’heure, parmi mes débiteurs.
CHAPITRE IV
Postquam Primus homo Paradiseum liquerat...
Gravi peonas cum proie luebat.
Depuis que le premier homme a été chassé du jardin du Paradis,
la peine à payer est une amère affliction.
« Du massacre de Lindisfarne », anonyme
Corbett examinait le morceau de parchemin jaunissant et écorné. On avait pu l’arracher à un manuscrit ou à un livre. En le scrutant, il remarqua que chaque mot, de même que sur l’avertissement envoyé à Castledene, était formé avec soin, comme si l’auteur tentait d’imiter un jeune écolier avec son livre de corne. Le clerc était presque sûr que le prétendu assassin dans la forêt l’avait suivi jusqu’ici et frappait à nouveau. Il déposa le document sur la table, s’assit sur la sellette et tendit les mains vers la chaleur crépitante et bienvenue du petit brasero. Un instant, son angoisse, cette crainte harcelante et paralysante, le saisit à nouveau. Il détestait cette incertitude. Elle lui rappelait les combats au pays de Galles et les soudaines embuscades. Ce qu’il redoutait le plus, c’était d’imaginer un messager galopant sur les chemins enneigés de Leighton pour annoncer à Maeve qu’elle était veuve, que leurs enfants étaient orphelins.
Le magistrat prit une profonde inspiration, murmura une prière et, afin de se réconforter et de dissiper ses sombres idées, se mit à fredonner le Salve Regina. Le
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