Le tresor de l'indomptable
pouvait se montrer plus compréhensive.
Le valet marmonnait à présent, et n’arrivait plus à garder les yeux ouverts.
— Vous êtes soûl, aboya Ranulf. Pour l'amour de Dieu, allez dormir, reprendre vos esprits et cuver les vapeurs de bière.
Lechlade se mit sur pied à grand-peine. Il fit un geste à l’adresse de Ranulf, s’inclina, moqueur, devant Corbett et se traîna vers la porte.
L’arrivée de Desroches, clair et précis, fut un soulagement. Il fixa Ranulf, puis le magistrat. Il répondit aux questions du clerc sans ambages et déclara exercer sa profession à Cantorbéry depuis plus de trois ans. On l’avait signalé à l’attention de Sir Walter Castledene et de Sir Rauf et il admit sans honte que la perspective du profit était l’une des raisons pour lesquelles il comptait Sir Rauf parmi sa clientèle. Il confirma aussi que feu le vieux ladre avait eu une constitution de fer et souffrait de fort peu de maux. Desroches avait entendu des rumeurs sur L’Indomptable , Hubert Fitzurse et son demi-frère Adam, mais rien d’intéressant ni de significatif. Il avoua sans contrainte que Sir Rauf, au moins une fois, avait abordé le sujet de son impuissance avec sa femme, mais il précisa aussi que ce dernier n’était point un castrat.
— Vous comprenez, Sir Hugh, dans ces conditions, ce n’est peut-être pas la faute de l’homme.
— Vous insinuez que c’était celle de Lady Adelicia ?
— Oui, en quelque sorte, Sir Hugh. Je crois que Sir Rauf, malgré le fait qu’il tenait les cordons de l’escarcelle et qu’il les tenait bien serrés, avait plutôt peur de Lady Adelicia, de sa beauté, de sa grâce. Pour d’autres, cela aurait pu être un aiguillon, mais pour Decontet c’était un frein. Je le soupçonne de s’être satisfait ailleurs, mais comment et avec qui – il hocha la tête –, je ne sais. Lady Adelicia est une femme très froide, très distante. Je serai franc : des bruits ont aussi couru à son sujet. Cantorbéry est certes une ville, mais ne diffère point en cela d’un village : on épie, on laisse traîner ses oreilles ; tôt ou tard, Sir Rauf aurait découvert la vérité.
— Et l’après-midi de son trépas ?
— Sir Rauf m’a prié de l’aller voir. Il m’avait envoyé un message le dimanche précédent. En tout cas, ce jour-là je me suis rendu chez lui en milieu d’après-midi. Vous savez déjà la suite.
— Redites-le-moi, demanda Corbett.
— J’ai frappé et frappé encore. Lechlade a fini par descendre. Nous avons alors tenté de réveiller Sir Rauf, mais en vain. Vous comprenez – il eut un petit mouvement d’épaules –, j’avais le sinistre pressentiment qu’il était arrivé quelque chose de grave. Lechlade étant le seul présent, j’ai décidé de ne rien faire. Par conséquent, comme je l’ai dit, je suis sorti en quête d’un valet de ferme pour porter un message priant le père Warfeld de nous rejoindre. Ensuite nous avons forcé l’huis. Sir Rauf était étendu sur le ventre ; le sang avait jailli de sa nuque. Il était mort depuis un certain temps, semblait-il. Le père Warfeld s’est occupé de lui. J’ai dépêché un autre messager à Castledene et nous l’avons attendu. Lady Adelicia est rentrée ; on l’a interrogée, on a constaté que son manteau était taché de sang et on a fouillé sa chambre.
— Pensez-vous qu’elle a occis son époux ?
— Non, répondit le médecin.
— Pourquoi ?
— Il est évident qu’elle le haïssait ; c’était notoire.
Elle n’avait rien en commun avec lui, mais – il tendit les mains – elle n’est pas du genre à tuer. C’est une trop grande dame, elle est trop délicate, et, bien sûr, il y a aussi ce profond mystère : comment quelqu’un aurait-il pu s’introduire dans cette pièce, commettre un meurtre puis s’enfuir par une porte fermée à clé ?
— Et les fenêtres ? suggéra Ranulf.
— Impossible !
Desroches s’agita sur sa sellette.
— Vous les avez vues, Sir Hugh : elles sont trop petites. Le battant est étroit et les volets étaient clos et barrés. Lechlade et Warfeld vous le confirmeront. C’est impossible, insista-t-il. C’est un vrai mystère.
— Tout à fait comme à Maubisson, remarqua Corbett. Et que s’est-il passé là-bas ?
— D’après ce que j’ai appris, Sir Hugh, Paulents a débarqué à Douvres, lui et sa famille se sentaient mal et il a expédié un message à Castledene. Ce dernier les a
Weitere Kostenlose Bücher