Le trésor
de soie bleue retenus au-dessus du genou par des jarretières ornées de diamants, son corps se tendait, s’arquait, appelant son bienheureux anéantissement et Gilles, maîtrisant le furieux désir qui lui tordait le ventre, continuait à jouer de cette chair somptueuse étendue devant lui, dorée par le reflet du feu et qu’il sentait si totalement à sa merci.
Jugeant que le jeu avait assez duré, il allait se relever pour se dépouiller à son tour quand une affreuse odeur de brûlé les redressa tous deux en même temps. Non seulement le poulet, las d’attendre, était en train de se transformer en charbon mais l’un des jupons de la jeune femme, jeté à la diable par la main impatiente de Gilles, commençait à flamber.
Il bondit pour l’éteindre sous ses pieds mais elle le retint, l’en empêcha et, même, se levant d’un souple mouvement de reins, saisit à plein bras sa robe, sa lingerie et jeta le tout dans le feu. Ses bas et ses jarretières endiamantées suivirent le même chemin ainsi que ses mules à haut talons et le ruban qui retenait ses cheveux. Puis, agenouillée devant le feu, elle ôta posément ses bagues, ses bracelets et les offrit à leur tour à la flamme dévorante.
— Je ne veux rien garder de ce que je portais en venant à ce rendez-vous, afin de symboliser la femme nouvelle que je veux être pour toi seul. Je veux venir à toi aussi nue, aussi désarmée qu’au jour de ma naissance parce que tu m’auras fait renaître…
— Aussi désarmée ? murmura-t-il. Jamais tu n’as été mieux armée, démone…
Il la prit sur la pierre chaude de l’âtre… Le temps s’abolit. Après avoir triomphalement conclu son premier assaut, Gilles avait emporté Anne à demi inconsciente jusqu’à l’espèce de divan oriental, couvert de coussins multicolores, qui tenait lieu de lit dans la pièce voisine et occupait l’un des coins d’une gracieuse cheminée de marbre blanc. Elle s’y était laissée ensevelir sans un geste mais à peine avait-elle pris contact avec le soyeux désordre qu’elle avait retrouvé toute sa vitalité. Le jeu d’amour reprit de plus belle avec ses solos raffinés, ses accords parfaits et la plénitude de ses points d’orgue débouchant sur le silence de la bienheureuse lassitude et du sommeil…
Ce fut la faim qui réveilla Gilles et le jeta, un peu titubant, hors du divan à la recherche des appétissantes nourritures auxquelles il n’avait pas touché et que son subconscient venait de lui rappeler. Dans le simple costume d’un habitant du Paradis terrestre, il passa dans la cuisine, constata que le poulet était réduit à l’état d’un morceau de charbon et que le café était froid mais que le pain, le beurre, le fromage et la corbeille de raisins étaient toujours là. Il se tailla un gros morceau de pain, une part de brie large comme la main qu’il empila dessus et, empoignant une bouteille déjà débouchée, but à la régalade une large rasade.
Ce que faisant, son regard accrocha au passage la grande horloge peinte et sculptée qui occupait l’un des coins de la salle. La petite aiguille dorée approchait de midi et la grande était posée sur le chiffre dix.
— Tonnerre de sort !…, s’écria-t-il. Le bateau !…
Tenant toujours d’une main sa tartine, il se mit à la recherche de ses vêtements qui jonchaient les dalles un peu partout à la manière d’un archipel et, tout en dévorant, commença à se rhabiller.
Il en était à nouer sa cravate lorsque Anne, drapée dans une soierie persane prise sur le divan, s’encadra dans le chambranle de la porte.
— Que fais-tu ? soupira-t-elle en bâillant largement, montrant l’intérieur rose de son palais et ses petites dents blanches bien rangées. Tu veux me quitter déjà ?
— Il le faut. Il va être midi et c’est l’heure à laquelle la reine doit passer devant Sainte-Assise. Je veux y aller…
— Pourquoi donc, grands dieux ? Tu m’as dit toi-même qu’il n’y avait plus rien à craindre.
— Pour voir quelque chose… et pour retrouver un ami auquel j’ai donné rendez-vous.
Il s’assit pour tirer ses bottes. Paresseusement, la jeune femme s’étira… ce qui eut pour résultat de faire glisser jusqu’à ses pieds la soierie mal attachée. Sans s’émouvoir pour autant, elle enjamba le tas de tissu et vint s’asseoir sur les genoux du jeune homme, entoura son cou de ses bras et frotta sa joue contre la sienne.
— C’est fini,
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