Le tribunal de l'ombre
questions et des réponses. À la parfin, monseigneur de Salignac me congédia sur ces simples mots :
« Messire Barthélémy Méhée de Largoët est le nouveau seigneur de la forteresse du même nom, près la ville fortifiée de Vannes, à quelques lieues du golfe du Morbihan.
« Ramenez-le moi vif. Sinon, je vous tiendrais pour responsable de ce nouvel échec. Et il est toujours possible de faire ressortir de vieux dossiers de nos archives, messire Brachet. »
La menace était à peine voilée, la bouche en lame de cotel, le regard froid entre des paupières plissées.
« Il répondra de ses crimes devant mon tribunal, s’ils sont avérés. Et onques, n’oubliez les fioles ! Mes fioles ! Vous êtes trop retors pour ne pas réussir à les récupérer un jour ou l’autre. Le plus tôt sera le mieux. Tel était notre pacte. Il tient toujours. Sur l’heure, je ne lève pas ma main de dessus vous. Faites bonne usage de ma mansuétude. »
Je le remerciai et me retirai, sans oublier de passer par le bureau du camérier, histoire de soulager mon aumônière de quelques louis d’or. Cette fois, monseigneur de Salignac n’avait pas eu besoin de me le rappeler. Je connaissais la procédure ; elle coulait désormais de source.
Sur la place de la cathédrale Saint-Sacerdoce, je mis le pied sur le haussepied pour me hisser à cheval et me calai sur les arçons. Je jubilai : je détenais toujours les fioles (tout au moins l’espérais-je) et savais où s’était réfugié le monstre. J’en toucherai un mot au chevalier de Foulques de Montfort. Mon enquête avançait à grand pas.
J’ignorai seulement que je ne réussirais pas à desférer Arnaud île la Vigerie, alias Barthélémy Méhée, seigneur de Largoët, devant mon tribunal de l’Ombre avant seize longues années. Car le destin en avait décidé ainsi.
À mon retour au manoir de Braulen, charpentiers, tailleurs de pierres, maçons, menuisiers et autres compains des jurandes et des loges s’affairaient à redresser les murs, tailler chevilles et chevillettes, à dégauchir sommiers, madriers et solives des charpentes détruites par le feu pendant que des manouvriers dégageaient les gravats.
Marguerite m’attendait devant le porche du manoir, une pièce de veelin à la main, fort agitée, un maigre sourire sur les lèvres : « Messire mon mari, j’ai bonne nouvelle. Un chevaucheur vient de nous remettre ce message : notre fils Hugues sera libéré contre une modeste rançon de douze sols et six deniers, le jour de la vigile de saint Jean-Baptiste {49} , à tierce, si vous vous rendez en Angoumois dans un lieu qui vous sera précisé le moment venu. La missive porte le seing et le sceau de messire Franck de la Halle. N’est-il pas l’un des maréchaux de l’ost du comte de Derby ?
— Si fait, ma Mie ! Que Dieu et la Vierge Marie en soient louangés ! Quelle heureuse nouvelle ! Douze sols et six deniers ?
— Oui, la rançon est dérisoire. Le prix à bailler pour le messager, est-il écrit. Nous devons à messire de la Halle une intervention directe auprès des ravisseurs. En remerciement pour avoir été convié au grand tournoiement, l’an passé, souffla-t-elle en me tendant le pli.
— Humm… Mais ne serait-ce pas un piège ? Attirer le gros gibier en l’appâtant par le petit ? La pratique en est connue !
— Messire de la Halle est un ennemi, certes, mais il fait preuve d’esprit de chevalerie. Un grand seigneur. Il déclare n’avoir ordonné ni l’incendie de notre manoir ni l’enlèvement de notre fils Hugues.
« Une malheureuse initiative de l’une de ses brides, une demie compagnie d’archers gallois et de sergents anglais en quête de pillage, à qui on ne pouvait reprocher leurs actes de vandalisme car ils n’avaient pas perçu leur solde.
« Le convoi chargé de l’acheminer était tombé dans une embuscade tendue par des nobliaux bretons et une piétaille vêtue de sacs et de cordes. Ils étaient commandés par un capitaine, un certain Bertrand Du Guesclin, dont la bien triste et peu chevaleresque réputation n’était plus à faire. Édouard de Woodstock avait d’ailleurs mis sa tête à prix, mais ce brigand leur filait toujours entre les doigts.
— Ces soudoyers vont le payer chèrement ! Qu’ils soient gallois ou anglais, crachotai-je. Par le Sang-Dieu, je leur ferai payer de leur vie l’enlèvement de notre fils !
— Que le Ciel vous en garde, mon ami ! Je vous en
Weitere Kostenlose Bücher