Le tribunal de l'ombre
il la brandit au-dessus du chef, fend le crâne du portier, huche à gueule bec et s’élance dans la cour de la forteresse en desforant l’épée :
« Fils de ribauds, voici du bois pour chauffer votre bain, mais c’est de votre sang que je remplirai les baquets ! Par Notre-Dame Guesclin, en avant mes gars ! À bas vos fagots ! Il y a du bon vin ici ! »
« Ses compains balancent fagots et bûches sur le pont-levis pour empêcher qu’il ne soit relevé. Tapis à la lisière du bois dit du Teillais, tout proche, le reste de la troupe s’élance en renfort.
Mêlée furieuse ! Bertrand Du Guesclin fend les Têtes de bûche, ouvre les poitrines, tranche de taille et embroche d’estoc. De même, ses compains qui manient l’épée et la cognée mieux que quiquionques. Les Bretons se croient maîtres des lieux. L’ennemi jonche le sol de la cour.
« Mais des valets de cuisine, des palefreniers, bouteillers, panetiers, pages et servantes, toute une valetaille armée de fourches, de pieux, de broches à rôtir, de coutelas, surgit alors pour en découdre hardiment avec les agresseurs.
« Un Anglais tue l’un des Bretons. Funeste erreur ! Bertrand lui passe son épée à dégorgeoir au travers du corps, se jette à leurs trousses, hache brandie, à la poursuite de la valetaille ébaudie qui tente de rallier une bergerie, à cors et à cris, comme les poules d’une basse-cour pourchassées par un renard.
« Il est isolé. Seul. Les derniers défenseurs s’en aperçoivent. Ils font brusquement volte-face, se ruent sur lui. La hache fauche l’ennemi avec une telle vigueur que le manche se brise. Navré au front, aveuglé par son sang, le Breton se bat à coups de pied et de poing. Il s’époumone :
« À moi ! Notre-Dame Guesclin ! »
« Ses Bretons se portent au secours du blessé, le dégagent in extremis du piège dans lequel le malheureux s’est fourvoyé.
Entre-temps, un détachement de l’ost de Charles de Blois, venu en reconnaissance, s’engouffre dans la cour de la forteresse et parachève la déroute des Godons.
« La place forte est conquise et de quelle façon ! Le soir, Bertrand et sa troupe festoient dans la grand’salle en compagnie des soudoyers français survenus si à propos pour prêter main-forte. »
Ainsi naquit la légende de celui qui allait devenir un grand capitaine et un futur connétable de France. La terreur des Anglais et des Gascons à iceux ralliés.
Un homme dont, je l’ignorai alors, que j’en deviendrai, de nombreuses années plus tard, un immutable compain d’armes.
Cependant, dans le royaume de France et en le duché de Bretagne, les événements s’étaient précipités l’année suivante.
Charles de Valois s’était éteint en l’abbaye de Nogent-le-Rotrou. Un mois plus tard, le duc Jean, fils aîné du roi Philippe de Valois, sixième du nom, était couronné à Reims, à la mort de son père.
Son fils Charles était armé chevalier, à l’âge de treize ans. Il portait le titre de dauphin de France, son grand-père, le roi Philippe, ayant acquis d’un grand seigneur perclus de dettes, Humbert de La Tour du Pin, deuxième du nom, la province du Dauphiné à la condition, stipulée aux actes, que les princes héritiers de la couronne de France en portassent le titre.
Quelques jours avant le sacre, à cinq jours des ides de septembre {22} , le jour de la Nativité de Notre-Dame, le roi Édouard avait nommé Gautier de Bentley capitaine général du roi d’Angleterre pour le duché de Bretagne, après le décès de messire Thomas de Dagworth, occis en août par Robert de Caours, lors de la bataille d’Auray.
En l’an 1351, à cinq jours des calendes du mois d’avril {23} , au lieu dit la Mi-Voie, située entre les villes de Josselin et de Ploërmel, s’était déroulée une terrible ordalie, que l’histoire retint sous le nom de « combat des Trente ».
Trente chevaliers anglais, sous la bannière de Robert Bemborough, avaient affronté trente chevaliers français rangés sous celle de Jean de Beaumanoir. Les Français voulaient ainsi venger des paysans bretons qui avaient été enchaînés et menés au fouet par la soldatesque anglaise « comme bœufs et vaches que l’on mène au marché » et rabattre le caquet de messire Bemborough qui avait lancé par défi : « Édouard sera roi de France couronné ! »
Organisée dans la plus pure tradition chevaleresque, la fine fleur de la chevalerie bretonne
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