Le tribunal de l'ombre
nouveau maléfice ne s’abattît sur nous. Je parcourus rapidement les premières lignes, portai aussitôt les yeux sur la formule rituelle qui précédait le paraphe d’un notaire royal et le grand sceau du baron de Beynac, pour en vérifier l’authenticité avant de revenir à l’essentiel.
J’ouvris des yeux plus ronds que des billes à mesure que je prenais connaissance des dispositions de feu notre maître. Je me suis souvent attendu à tout, dans ma vie. À tout, mais ce soir-là, certainement pas à d’aussi stupéfiantes révélations. Les bras m’en tombèrent. Le parchemin s’échappa de mes mains. Marguerite, toujours aussi prompte, saisit le document avant qu’il ne chût sur le sol et ne se recroquevillât sur lui-même.
À mesure qu’elle poursuivait sa lecture, le sang se retira de ses joues, son visage devint blême, ses mains tremblèrent. Elle chancela et dut s’asseoir sur le coin du châlit.
Foulques de Montfort se promenait dans les paysages des tapisseries de basse lice. Il souriait benoîtement, les mains croisées derrière le dos.
Le nouveau maître de la baronnie jubilait. Il tenait sa revanche. Et quelle revanche !
Si le prince éclairé et le général avisé défont l’ennemi chaque fois qu’ils passent à l’action, si leurs réalisations surpassent celles du commun, c’est grâce à l’information préalable.
L’art de la guerre, De l’utilisation des agents secrets.
Sun Tzu, général de l’Empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.
Chapitre 6
À Beynac, de l’an de grâce MCCCXLIX au printemps de l’an de grâce MCCCLII {20} .
En ce matin de l’Annonciation, le vingt-cinquième jour du mois de mars de l’an de grâce 1352, à quatre jours de Notre-Dame de mars, une légère brise venue du nord gonflait penoncels, bannières, penons et gonfanons. L’air était frais, mais sec. Le ciel, d’un bleu pâle et azuré, éclipsait les étoiles qui scintillaient quelques instants plus tôt. Le soleil se levait timidement, perçant les brumâts matinaux. Il irisait la vallée de la Dourdonne d’une lumière douce et dorée.
La tour de l’Oratoire, le formidable donjon, puis le logis seigneurial et le bâtiment de l’Éperon de l’impressionnante forteresse de Beynac se dressèrent peu à peu, suspendus entre ciel et terre, à deux cents toises de haut et à près d’un quart de lieue de l’endroit où je me tenais, en contrebas, dans la plaine du Capeyrou, rive dextre de la rivière.
L’hiver avait été doux et pluvieux. Les premiers signes de la reverdie se manifestaient sur le feuillage des hêtres, des bouleaux et des charmes. Seuls, les bourgeons des noyers, gorgés de sève, n’avaient pas encore éclos pour livrer la belle couleur rose de leur feuillage.
Les premiers feux étaient affoués sur l’autre rive du Pontou, là où campaient tous les tournoyeurs qui n’avaient pu être logés dans les maisons nobles, à l’intérieur des enceintes du château.
La trêve signée en la place forte de Commarque touchait à sa fin et les hostilités ne tarderaient pas à reprendre.
En l’an de grâce 1350, nous avions pillé et incendié le château de Marqueyssac et contraint son seigneur Hélie à se réfugier sur l’autre rive de la Dourdonne, dans le bourg de Castelnaud-la-Chapelle, pour puiser quelque réconfort auprès du sire des lieux… Nous avions aussi repris, hors la baronnie, quelques localités : Limeuil, Nontron, Montravel et Le Fleix l’an passé. Victoires éphémères. La guerre sourdait, tel un feu qui couve sous les braises, et ne tarderait pas à enflammer derechef le royaume.
Foulques de Montfort servait le nouveau baron de Beynac qui avait organisé ce grand tournoiement et convié les meilleures lances de la comté et d’ailleurs pour fêter son avènement. Michel de Ferregaye avait quitté son service. Cet homme immutable était maintenant soldé par Marguerite et moi. Il ne jouterait pas.
De nombreux sires de la route avec leur mesnie s’y étaient rendus : Roger Bernard, comte de Pierregord, les trois autres barons du Pierregord, quelques chevaliers étrangers venus d’Espagne et du Piémont, de nombreux chevaliers d’Aquitaine, des Cévennes, de l’Angoumois, des bastides royales du Mont-de-Domme, de Monpazier, de Villeréal, de Cahors, de Montpellier et d’autres beaux pays d’oc s’étaient rendus de fervêtus à l’invitation du baron, avec leurs écuyers, leur dame, leurs
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