Le Troisième Reich, T1
République de Weimar, où son esprit agile, ses
manières affables et son flair politique faisaient impression aussi bien sur
les généraux que sur les politiciens.
Sous les ordres du général von Seeckt, il joua un rôle de plus
en plus important dans l'organisation des corps-francs illégaux et dans la «
Reichswehr Noire » tout aussi illégale et ultra-secrète, et il joua un rôle
essentiel dans les négociations confidentielles avec Moscou, qui aboutirent à
l'entraînement camouflé d'officiers de blindés et d'aviation en Russie Soviétique
et à l'établissement de manufactures d'armes de marque allemande sur le
territoire russe. Négociateur fort doué, avec la passion de l'intrigue,
Schleicher opérait de préférence dans l'ombre. Jusque vers le début des années
30, son nom demeura inconnu du grand public, mais, depuis quelque temps déjà,
il attirait de plus en plus l'attention de la Bendlerstrasse, où se trouvait le
ministère de la Guerre, et de la Wilhelmstrasse, où étaient installés les
ministères.
En janvier 1928, il avait employé son influence grandissante
auprès du président Hindenburg, dont il était devenu l'intime grâce à son
amitié avec Oskar, pour faire nommer son ancien chef, le général Grœner,
ministre de la Défense, le général devenant ainsi le premier militaire à
détenir ce poste sous la République. Grœner fit de Schleicher son bras droit au
ministère, lui confiant la responsabilité d'un nouveau service, le Bureau du
Ministère (Ministeramt), où il se chargeait des relations de l'armée et de la
marine avec les milieux politiques et avec la presse. « Mon cardinal en
politique », c'était ainsi que Grœner appelait son assistant, et il lui confia
le soin de s'occuper des relations de l'armée avec les autres ministères et les
chefs politiques.
Dans cette position, Schleicher n'était pas seulement une
puissance dans le corps des officiers, mais il commençait à devenir une
puissance politique. Dans l'armée, il pouvait faire et défaire les officiers
supérieurs et bientôt ne s'en priva pas, réussissant, en 1930, à se débarrasser
par un coup fourré du général von Blomberg, le chef d'état-major adjoint, pour
le remplacer par un vieil ami du 3e régiment de gardes à pied, le général von
Hammerstein. Au printemps de la même année, comme on l'a vu, il tenta, pour la
première fois, de choisir le chancelier et, avec l'appui de l'armée, persuada
Hindenburg de nommer Heinrich Brüning à ce poste.
En réussissant cet exploit politique, Schleicher accomplissait
ce qu'il estimait être la première étape d'un projet grandiose pour renverser
la République, projet qui se formait depuis quelque temps dans son esprit
agile. Il distinguait assez clairement — et qui ne les voyait pas? — les causes
de la faiblesse du régime de Weimar. Il y avait trop de partis politiques (en
1930, dix d'entre eux recueillaient plus d'un million de voix) et ils étaient
trop divisés, trop occupés à veiller sur les intérêts économiques et sociaux
particuliers qu'ils représentaient pour oublier leurs divergences de vues et
constituer au Reichstag une majorité solide qui pourrait
soutenir un gouvernement stable, capable de résoudre la crise grave qui
frappait le pays au début des années 30.
Le gouvernement parlementaire était devenu ce que les Allemands
appelaient Kuhhandel — du maquignonnage —, les partis
marchandant des avantages pour les groupes qui les avaient portés au pouvoir,
et au diable les intérêts nationaux. Il n'est donc pas surprenant que quand Brüning fut élu chancelier le 28 mars 1930, il était devenu
impossible de trouver au Reichstag une majorité pour
n'importe quelle politique — qu'elle fût de gauche, du centre ou de droite — et
c'est pourquoi, pour simplement régler les affaires courantes et tâcher de
remédier à la paralysie économique, Brüning dut recourir à
l'article 48 de la Constitution, qui lui permettrait en cas d'urgence, si le
président approuvait, de gouverner par décret.
C'était exactement comme cela que Schleicher voulait
voir le chancelier gouverner. Cela donnait un gouvernement fort, sous la poigne
solide du président qui, après tout, estimait Schleicher, représentait
par son élection populaire la volonté du peuple et avait l'appui de l'armée. Si
le Reichstag élu par un vote démocratique n'était pas
capable de fournir un gouvernement stable, alors la tâche en revenait au
président, élu
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