Le Troisième Reich, T1
lui aussi au suffrage universel. Ce que désirait la majorité des
Allemands, Schleicher en était sûr, c'était un
gouvernement qui prendrait une attitude ferme et qui les tirerait de leur
situation désespérée.
En fait, comme le montrèrent les élections auxquelles fit
procéder Brüning en septembre, ce n'était pas ce que
voulait la majorité des Allemands. En tout cas, ils ne voulaient pas être tirés
du désert par le genre de gouvernement que Schleicher et
ses amis de l'armée et du palais présidentiel avaient choisi. En vérité, Schleicher avait commis deux erreurs désastreuses. En faisant
désigner Brüning comme chancelier et en l'encourageant à
gouverner par décret présidentiel, il avait ébranlé les fondations de la
puissance de l'armée dans la nation, sa position au-dessus de la mêlée, dont
l'abandon allait conduire l'armée et l'Allemagne tout entière à la ruine.
Il avait fait également une lourde erreur dans le calcul des
voix. Quand 6 500 000 électeurs, contre 810 000 deux ans plus tôt, votèrent
pour le Parti nazi, le 14 septembre 1930, le général politicien se rendit
compte qu'il devait s'y prendre autrement. A la fin de l'année, il avait pris
contact avec Rœhm, qui venait de rentrer de Bolivie, et avec Gregor Strasser.
C'était le premier contact sérieux entre les nazis et ceux qui détenaient le
pouvoir politique dans la République. En deux ans, cela devait conduire Adolf
Hitler à son but et le général von Schleicher à sa chute et, pour finir, à son
assassinat.
Le 10 octobre 1931, trois semaines après le suicide de sa nièce
chérie, Geli Raubal, Hitler fut reçu pour la première fois par le président
Hindenburg. Schleicher, occupé à tisser un nouveau réseau d'intrigues, avait
ménagé l'entrevue. Au début de l'automne, il avait rencontré Hitler et s'était
arrangé pour lui faire rencontrer le chancelier et le président. Il se
demandait, comme Brüning, ce qu'il faudrait faire quand Hindenburg parviendrait
au terme de son septennat, au printemps de 1932. Le maréchal aurait alors
quatre-vingt-cinq ans, et ses périodes de lucidité diminuaient. Pourtant, tout
le monde s'en rendait compte, s'il ne posait pas sa candidature pour se
succéder à lui-même, Hitler, tout en n'étant pas légalement citoyen allemand,
pourrait réussir à le devenir, poser sa candidature, remporter la victoire aux
élections et devenir président.
Durant l'été, le studieux chancelier avait passé de longues
heures à étudier la situation désespérée de l'Allemagne. Il se rendait
parfaitement compte que son gouvernement était devenu le plus impopulaire que
la République eût jamais connu. Pour lutter contre la crise, il avait décrété
une baisse des salaires, ainsi qu'une baisse des prix, et il avait promulgué de
sévères mesures de restriction dans le domaine des affaires, de la finance et
des services sociaux. Cela lui avait valu d'être baptisé par les nazis et par
les communistes « le Chancelier de la fin ». Il croyait pourtant entrevoir une
issue qui lui permettrait de rétablir une Allemagne stable, libre et prospère.
Il allait essayer de négocier avec les Alliés une annulation des réparations,
dont le paiement avait été provisoirement arrêté par le moratoire de Hoover.
Lors de la conférence sur le désarmement prévue pour l'année
suivante, il avait essayé soit d'obliger les Alliés à tenir leurs promesses du
Traité de Versailles de désarmer au niveau de l'Allemagne, soit de permettre à
l'Allemagne de se lancer ouvertement dans un modeste programme de réarmement,
lequel, en fait, avait déjà commencé en secret et avec son accord. Ainsi,
l'Allemagne, libérée de la dernière entrave du traité de paix, émergerait en
égale parmi les grandes puissances. Ce serait non seulement un atout pour la
République, mais cela pourrait bien, songeait Brüning, instaurer
une nouvelle ère de confiance dans le monde occidental et mettre un terme à la
crise économique qui avait plongé le peuple allemand dans une telle misère. Et
cela couperait également les ailes aux nazis.
Brüning se proposait d'agir avec la même
audace sur le front intérieur et d'amener tous les principaux partis, à
l'exclusion des communistes, à accepter un changement fondamental de la
constitution allemande. Il se proposait de rétablir la Monarchie des
Hohenzollern. Même si Hindenburg acceptait de se représenter, on ne pouvait
s'attendre à le voir, à son âge,
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