Le Troisième Reich, T1

voix de la raison dans l'atmosphère passionnée
qui régnait dans l'Allemagne nazie de 1937, c'était là une tâche impossible et
Schacht s'en rendit bientôt compte. Au cours de l'été, il y eut entre Gœring et
lui de nouvelles escarmouches; il jugeait malsaines, déclara-t-il au futur
maréchal, « votre politique des changes, votre politique de production et votre
politique financière ». Il se rendit dans l'Obersalzberg en août pour remettre
officiellement sa démission à Hitler. Le Führer était peu disposé à l'accepter,
en raison des réactions défavorables que ne manquerait pas de susciter le
départ de Schacht, tant en Allemagne qu'à l'étranger, mais le ministre, à bout
de résistance, demeura inflexible et Hitler consentit à lui rendre sa liberté
dans un délai de deux mois. Le 5 septembre, Schacht partit en congé et sa
démission fut officiellement acceptée le 8 décembre.
    Sur les instances d'Hitler, Schacht demeura dans le cabinet
comme ministre sans portefeuille et conserva la présidence de la Reichsbank,
sauvant ainsi les apparences et atténuant le choc aux yeux de l'opinion, en
Allemagne et dans le monde. L'influence qu'il avait exercée jusqu'alors en
freinant l'ardeur fiévreuse avec laquelle Hitler procédait au réarmement en vue
d'une guerre avait cependant pris fin. Mais, en demeurant dans le cabinet et à
la Reichsbank, il continuait à favoriser les desseins d'Hitler, grâce au prestige
de son nom et de sa réputation. D'ailleurs, il allait bientôt approuver
publiquement et avec enthousiasme le premier acte de banditisme et d'agression
brutale commis par son chef, car, à l'exemple des généraux et des autres
conservateurs qui avaient contribué dans une large mesure à livrer l'Allemagne
aux nazis, il fut lent à ouvrir les yeux sur la réalité des faits.
    Gœring le remplaça provisoirement au ministère de l'Économie
nationale, mais, un soir de la mi-janvier 1938, Hitler se trouva en face de Walter
Funk à l'Opéra de Berlin et l'informa, sans autre forme de procès, qu'il serait
le successeur de Schacht. La nomination officielle de ce personnage
parfaitement nul, sorte de nabot adipeux et servile, qui, on s'en souvient,
avait joué un certain rôle dans l'établissement du régime hitlérien en assurant
à Hitler l'appui de divers chefs d'industrie, au début des années 30, fut
cependant confirmée.
    Car, sur ces entrefaites, le Troisième Reich vit éclater dans
l'armée une crise bicéphale, précipitée entre autres motifs par certaines
questions d'ordre sexuel, normales et anormales, crise qui fit le jeu d'Hitler
en lui permettant de porter à la vieille hiérarchie militaire aristocratique un
coup dont elle ne devait jamais se remettre et qui allait avoir de funestes
conséquences, non seulement pour l'armée, qui perdit de ce fait les derniers
vestiges de l'indépendance si jalousement préservée sous les Hohenzollern et
sous la République, mais aussi pour la nation allemande et pour le reste du
monde.

LA CHUTE DU FELD
MARECHAL VON BLOMBERG
     « Quelle influence une femme ne peut-elle exercer, sans même
s'en rendre compte, sur l'histoire d'un pays et, par voie de conséquence, sur
l'histoire du monde! s'exclamait le général Jodl dans son journal, à la date du
26 janvier 1938. « On a le sentiment de vivre une heure fatidique pour le
peuple allemand (5). »
    La femme à laquelle faisait allusion le jeune et brillant
officier d'état-major était Fräulein Erna Gruhn et, peu auparavant, alors que
l'année 1937 touchait à sa fin, elle était à cent lieues d'imaginer qu'elle
détenait le pouvoir de précipiter le peuple allemand, comme l'affirme Jodl,
dans une crise fatale et qu'elle exercerait une influence profonde sur son
histoire, Peut-être une telle aventure n'était-elle possible que dans l'univers
étrange, psychopathique, toujours en effervescence, où se mouvait alors le
petit clan des dirigeants du Troisième Reich.
    Fräulein Gruhn était la secrétaire de Blomberg et, vers la fin
de 1937, il tomba amoureux d'elle à tel point qu'il en vint à lui parler
mariage. Sa première femme, fille d'un officier en retraite, qu'il avait
épousée en 1904, était morte en 1932. Depuis lors, ses cinq enfants avaient
grandi (sa plus jeune fille avait épousé en 1937 le fils aîné du général
Keitel, son protégé) et, fatigué de sa vie solitaire, il décida que le moment
était venu pour lui de se remarier.
    Comprenant que pour le grand chef de