Le Troisième Reich, T1
jusqu'à ce que la Tchécoslovaquie ait été écrasée et que des troupes
puissent être envoyées sur le front de l'ouest. L'idée qu'il n'existe pas de
troupes disponibles pour tenir les fortifications de l'ouest ne se présente pas
à son esprit fiévreux. Il prévoit que « la Russie interviendra fort probablement
» et cette fois il n'est plus très sûr que la Pologne n'en fera pas autant. Il
faut parer à ces éventualités, mais il ne dit pas comment.
Il semble bien qu'Hitler, vivant dans un relatif isolement à
l'Obersalzberg, n'a pas encore perçu les sourds grondements de l'hostilité qui
se manifeste aux échelons supérieurs de l'état-major général. Beck avait beau
harceler Brauchitsch avec ses mémorandums, il lui fallut bien, vers la fin de
juin, se rendre à l'évidence : son commandant en chef, irrésolu comme toujours,
ne se décidait pas à porter ses avis à la connaissance du Führer. Au milieu de
juillet, Beck décida donc de faire un effort désespéré pour aboutir d'une
manière ou de l'autre. Le 16 juillet, il rédigea un dernier mémorandum à
l'intention de Brauchitsch. L'armée, affirmait-il, devait demander à Hitler
d'arrêter ses préparatifs de guerre.
Pleinement conscient de l'importance d'une telle démarche,
mais aussi de mes responsabilités, j'estime qu'il est de mon devoir de demander
avec insistance que le commandant suprême des forces armées (Hitler) annule ses
préparatifs de guerre et renonce à son intention de résoudre la question
tchèque par la force, jusqu'au jour où la situation militaire aura complètement
changé. Pour le moment elle me paraît ne permettre aucun espoir et cette
opinion est partagée par tous les officiers supérieurs de l'état-major général.
Beck porta lui-même ce mémorandum à Brauchitsch et lui fit de
vive voix des propositions en vue d'une action concertée de la part des
généraux de l'armée, au cas où Hitler se montrerait récalcitrant. En
particulier, il proposa qu'en cette occurrence les généraux de haut rang
donnent tous ensemble leur démission. Et, pour la première fois dans l'histoire
du Troisième Reich, il souleva la question qui, par la suite, devait hanter
tous les esprits au cours des débats de Nuremberg : pour un officier,
existait-il une plus haute autorité que celle du Führer?
A Nuremberg, des douzaines de généraux tentèrent d'excuser leurs
crimes de guerre en répondant par la négative. Ils devaient obéir aux ordres,
dirent-ils. Mais, le 16 juillet, Beck soutenait une opinion différente, qu'il
allait chercher à imposer jusqu'à la fin, mais presque toujours sans succès. Il
existait, disait-il « des limites » à l'obéissance due au commandant suprême,
au cas où la conscience d'un soldat, sa connaissance de certains faits et son
sentiment de sa responsabilité lui interdisaient d'exécuter un ordre. Les
généraux, estimait-il, avaient atteint ces limites. Si Hitler insistait pour
faire la guerre, ils devraient démissionner en bloc. Dans ces conditions,
ajoutait-il, une guerre deviendrait impossible, puisqu'il n'y aurait plus
personne pour conduire les armées.
Le chef de l'état-major allemand voyait maintenant clair, comme
jamais auparavant. Les écailles lui tombaient des yeux. Ce qui était en jeu
pour la nation allemande, il s'en rendait enfin compte, c'était bien autre
chose que la possibilité de déjouer les projets d'un chef d'État déséquilibré,
s'acharnant par rancune à attaquer une petite nation voisine, au risque de
déclencher un immense conflit. Le caractère délirant du Troisième Reich, sa
tyrannie, la terreur qu'il faisait régner, sa corruption, son mépris pour les
antiques vertus chrétiennes apparurent soudain à ce général autrefois pro-nazi.
Trois jours plus tard, le 19 juillet, il revint trouver Brauchitsch pour lui
faire part de cette révélation.
Non seulement, affirmait-il, les généraux devaient refuser leurs
services à Hitler, pour l'empêcher de déclencher une guerre, mais ils devaient
aider à nettoyer le Troisième Reich de ses souillures. Le
peuple allemand et le Führer lui-même devaient être
délivrés du régime de terreur que faisaient régner les S.S. et les manitous du
parti. Il faudrait restaurer un État et une société régis par des lois. Beck résumait ainsi son projet de réforme:
Pour le Führer, contre la guerre, contre la dictature des
chefs du parti, paix avec l'Église, libre expression des opinions, fin de la
terreur
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