Le Troisième Reich, T1
les
ministres des Affaires étrangères français et allemand. La France s'était alors
quelque peu reprise, après la panique défaitiste des jours de Munich. Je me
trouvais à Paris le jour de la signature de l'accord et remarquai combien
l'atmosphère y était glaciale. Sur le trajet suivi par la voiture de
Ribbentrop, il n'y avait pas un seul badaud. Plusieurs ministres, ainsi que des
hauts personnages, appartenant aux milieux politiques ou littéraires, parmi
lesquels se trouvaient les éminents présidents de la Chambre et du Sénat, MM.
Herriot et Jeanneney, refusèrent d'assister aux réceptions données en l'honneur
du visiteur nazi.
De cette rencontre entre Bonnet et Ribbentrop devait naître un
malentendu qui allait jouer un rôle dans le déroulement futur des événements.
Le ministre allemand prétendit que Bonnet lui avait donné l'assurance que,
depuis Munich, la France ne s'intéressait plus à l'Europe de l'Est et, par la
suite, il en conclut que la France laisserait les mains libres à l'Allemagne
dans cette zone, surtout en ce qui concernait la Tchécoslovaquie mutilée et la
Pologne. Bonnet nia avoir tenu ce propos.
Selon les minutes de la rencontre rédigées par Schmidt, quand
Ribbentrop demanda que soit officiellement reconnue la zone d'influence
allemande à l'Est, Bonnet aurait répondu que les conditions avaient changé du
tout au tout depuis Munich (11). En forçant le sens de cette remarque ambiguë,
le ministre des Affaires étrangères allemand feignit d'y voir une déclaration
formelle et la présenta ainsi à Hitler. « A Paris, prétendit-il, Bonnet avait
déclaré qu'il ne s'intéresserait plus désormais aux questions concernant l'Est.
» Depuis que la France avait si promptement capitulé à Munich, le Führer était
déjà convaincu qu'elle ne s'y intéressait plus, en effet. Ce n'était pas tout à
fait vrai.
LA SLOVAQUIE CONQUIERT
SON « INDEPENDANCE »
Qu'était-il advenu de la garantie qu'Hitler, au moment de
l'accord de Munich, s'était solennellement engagé à donner et d'après laquelle
il respecterait l'intégrité des restes de la Tchécoslovaquie? Quand le nouvel
ambassadeur de France à Berlin, Robert Coulondre, posa la question à
Weizsaecker, le 21 décembre 1938, le secrétaire d'État répondit que le destin
de la Tchécoslovaquie était entre les mains de l'Allemagne et qu'il repoussait
l'idée d'une garantie franco-britannique. Dès le 14 octobre, quand le nouveau
ministre des Affaires étrangères tchèque, Frantisek Chvalkovsky,
était venu humblement à Munich mendier quelques miettes au Führer et avait
demandé si l'Allemagne se joindrait à la Grande-Bretagne et à la France pour
garantir les nouvelles frontières de son pays, le Führer avait répondu
dédaigneusement que « les garanties britannique et française étaient sans
valeur... et que la seule garantie effective était celle de l'Allemagne (12) ».
Pourtant, au début de 1939, cette garantie n'avait toujours pas
été donnée. Et cela pour la raison fort simple que le Führer n'avait aucune
intention de l'accorder. Elle aurait, en effet, gêné l'exécution des projets
qu'il avait commencé d'établir aussitôt après Munich. Bientôt, il n'y aurait
plus de Tchécoslovaquie à garantir. Pour commencer, la Slovaquie serait amenée
à se détacher de Prague.
Quelques jours après Munich, le 17 octobre, Goering avait reçu
deux chefs slovaques, Ferdinand Durcansky et Mach, ainsi que le chef de la
minorité allemande en Slovaquie, Franz Karmasin. Durcansky, qui était Premier
Ministre suppléant de la nouvelle Slovaquie autonome, assura le feld-maréchal
que le vœu le plus cher des Slovaques était « une indépendance complète,
comportant des liens très étroits, politiques, économiques et militaires, avec
l'Allemagne ». D'après un mémorandum secret des Affaires étrangères, portant la
même date, Gœring avait décidé qu'il fallait accorder son indépendance à la
Slovaquie : « Un État tchèque, moins la Slovaquie, sera plus complètement à
notre merci. L'établissement d'une base aérienne en Slovaquie, en vue
d'opérations contre l'Est, offrirait un grand intérêt (13). » Telle était, à la
mi-octobre, l'opinion de Gœring sur la question.
Il nous faut maintenant tenter de suivre les détours par
lesquels l'Allemagne parvint à atteindre le double but qu'elle s'était assigné
: détacher la Slovaquie de Prague et préparer la liquidation des restes de
l'ancien État, par
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