Le Troisième Reich, T1

maître en
propagande, eut ce qu’il faut vraiment qualifier un trait de génie. Il avait
compris que le parti avait surtout et avant tout besoin d’un emblème, d’un
drapeau, d’un symbole traduisant les buts et l’esprit de la nouvelle
organisation, frappant l’imagination des masses ; seule une bannière
spectaculaire avait des chances d’être suivie par des milliers d’hommes et de
les conduire au combat. Après avoir longuement réfléchi et esquissé de nombreux
projets, il jeta son dévolu sur un drapeau rouge, frappé au centre d’un cercle
blanc portant un svastika noir. La croix gammée ( Hakenkreuz ), empruntée
d’ailleurs à une époque infiniment plus reculée, allait devenir l’effrayant
symbole du Parti nazi et finalement de l’Allemagne nazie. Cependant, tout en se
livrant dans Mein Kampf à une longue dissertation sur ce sujet, Hitler
ne dit pas d’où lui vint l’idée d’utiliser le svastika.
    La croix gammée est pourtant ancienne, aussi ancienne que l’homme
sur notre planète. On l’a retrouvée dans les ruines troyennes, égyptiennes, chinoises.
Je l’ai vue en Inde, parmi de vieilles reliques hindoues et bouddhistes. Pour
revenir à des temps plus récents, disons qu’elle apparut à titre d’emblème
officiel dans certains États baltes comme l’Estonie et la Finlande, où les
hommes des corps francs allemands purent la contempler pendant les combats de
1918-1919. La brigade Ehrhardt l’arbora sur ses casques d’acier quand elle fit
son entrée à Berlin lors du putsch Kapp de 1920. Hitler l’avait certainement
aperçue en Autriche, figurant parmi les emblèmes d’un des mouvements
antisémites ; peut-être la remarqua-t-il aussi lorsque la brigade Ehrhardt
vint à Munich. Il dit en tout cas que de nombreux dessins proposés par des
membres de son parti comprenaient invariablement un svastika, ajoutant « qu’un
dentiste de Sternberg » apporta le projet d’un drapeau « qui n’était
pas mal du tout et très proche du mien ».
    Quant aux couleurs, il va de soi qu’Hitler rejeta celles, noir-rouge-or,
de la République haïe de Weimar. Il ne voulut pas davantage adopter celles de l’ancien
drapeau impérial rouge-blanc-noir ; mais elles lui plaisaient, non
seulement parce qu’elles forment, selon son expression, « la plus
brillante harmonie qui soit », mais aussi parce que c’étaient celles de l’Allemagne
pour laquelle il avait combattu. Toutefois, il fallait les disposer
différemment, et c’est pourquoi elles subirent l’addition du svastika.
    Ravi de sa création, Hitler s’écrie dans Mein Kampf  :
« C’est un symbole véritable ! » « Dans le rouge , nous
voyons l’idée sociale du mouvement ; dans le blanc , l’idée
nationaliste ; dans le svastika , la mission de la lutte que nous
menons pour la victoire de l’homme aryen (20). »
    Bientôt, un brassard marqué du svastika fut adopté pour l’uniforme
des troupes d’assaut et pour les membres du parti ; et, deux ans plus tard,
Hitler dessina le projet des étendards nazis qui allaient figurer dans les
grandes parades et orner les estrades des réunions publiques. Imités des
enseignes romaines, ils consistaient en une croix gammée de métal noir, avec
une couronne d’argent surmontée d’une aigle ; au-dessous, les initiales N.
S. D. A. P sur une plaque rectangulaire métallique d’où pendaient des cordes à
glands et qui figurait un drapeau à svastika, avec la devise «  Deutschland,
erwache  ! » (« Allemagne, éveille-toi ! »).
    Sans être de l’art, c’était de la propagande de premier ordre. Les
nazis possédèrent dès lors un symbole supérieur à ceux de tous les autres partis.
La croix gammée semblait posséder un pouvoir magique propre et montrer une voie
nouvelle aux catégories modestes des classes moyennes, dépourvues de sécurité
matérielle, hésitantes pendant ces premières années de l’après-guerre. Aussi
commencèrent-elles à affluer sous le drapeau qui la portait.

LE « PRINCIPE DU CHEF »
    Pendant l’été 1921, Hitler, dont les débuts d’agitateur avaient
révélé des promesses si étonnantes, s’arrogea la direction du parti sans
rencontrer de résistance. En cette occasion, il donna à ses compagnons un
premier témoignage du caractère implacable et de l’habileté tactique qui
allaient lui valoir, dans des circonstances plus graves, le succès que l’on
sait.
    Au début de l’été, Hitler s’était rendu