Le Troisième Reich, T1
manifestement une inspiration de dernière minute, car il n'en avait pas
touché mot, deux jours plus tôt, lorsqu'il avait commenté la lettre de
Chamberlain devant Henderson et rédigé sa réponse.
Même en tenant compte des aberrations du dictateur, on conçoit
difficilement qu'il ait considéré cette offre avec autant de sérieux qu'il
tenta de le faire croire à l'ambassadeur britannique. Comment d'ailleurs le
gouvernement britannique aurait-il pu la prendre « très au sérieux » comme on
le lui demandait, puisque Chamberlain aurait à peine eu le temps de la lire
avant que les armées nazies ne se précipitent sur la Pologne le lendemain — le
Jour J tenait toujours — à l'aube.
Mais, derrière cette « offre », il y avait sûrement une
intention. Hitler croyait manifestement que Chamberlain cherchait une issue qui
lui permettrait de maintenir son pays en dehors de la guerre [212] .
Il avait obtenu deux jours plus tôt la neutralité
bienveillante de Staline en laissant à la Russie toute latitude en Europe
orientale « de la Baltique à la mer Noire ». Ne pouvait-il s'assurer la
non-intervention de la Grande-Bretagne en promettant au Premier Ministre que,
contrairement à l'Allemagne des Hohenzollern, jamais le Troisième Reich ne
constituerait une menace pour l'Empire britannique? Un détail, cependant, avait
échappé à Hitler — comme, d'ailleurs, à Staline qui, par la suite, devait le
payer cher : les yeux de Chamberlain s'étaient enfin dessillés, et la
domination allemande sur le continent européen lui apparaissait maintenant
comme la menace la plus mortelle que l'Empire britannique eût à redouter, comme
elle allait le devenir pour l'Empire soviétique. Depuis des siècles, ainsi
qu'Hitler l'avait relevé dans Mein Kampf , le premier impératif de la
politique anglaise était d'empêcher que le continent passât sous la domination
d'une seule nation, quelle qu'elle fût. Une fois de plus, cet impératif allait
jouer.
A dix-sept heures trente, Hitler reçut l'ambassadeur de France,
mais, n'ayant rien de particulier à lui dire, il se contenta de répéter qu'il
ne « tolérerait pas davantage des provocations polonaises ». Il n'attaquerait
pas la France, sauf si celle-ci intervenait; alors, il la combattrait jusqu'au
bout. Cette déclaration faite, il se leva pour signifier au Français que
l'entretien était terminé. Mais Coulondre, lui, avait quelque chose à dire au
Führer, et il y tenait. C'était sa conviction, il donnait sa parole d'honneur
que, si la Pologne était attaquée, la France se dresserait aussitôt à ses
côtés, avec toutes ses forces.
« Il m'est très pénible, répondit Hitler, de penser que nous
pouvons en arriver là, mais cela ne dépend pas de moi. Dites cela au président
Daladier, je vous prie (6).
Il était désormais six heures du soir à Berlin, en ce vendredi
25 août. La tension dans la capitale n'avait cessé de monter au cours de la
journée. Depuis le début de l'après-midi, toutes communications par radio,
télégraphe et téléphone étaient coupées sur ordre de la Wilhelmstrasse. La
veille au soir les derniers ressortissants français et britanniques,
correspondants de presse et simples particuliers, étaient partis précipitamment
pour la frontière la plus proche. Au cours de la journée, on avait appris
officiellement que le ministère des Affaires étrangères allemand avait
télégraphié aux ambassades et consulats de Pologne, de France et de
Grande-Bretagne pour les prier de rapatrier leur personnel par la voie la plus
rapide.
Mes propres notes de journal en date du 24 et du 25 août
reconstituent l'atmosphère fiévreuse qui régnait dans la ville. Le temps était
chaud et orageux, et chacun semblait avoir les nerfs à fleur de peau. En tous
les points de cette cité tentaculaire, des canons anti-aériens étaient mis en
place et l'on apercevait des bombardiers se dirigeant vers la Pologne. « Ça a
tout l'air d'être la guerre », griffonnai-je au soir du 24. « La guerre est
imminente », répétai-je le lendemain. Et ces deux soirs-là, je me souviens, les
Allemands croisés dans la Wilhelmstrasse chuchotaient
qu'ordre avait été donné aux troupes d'entrer en Pologne à l'aube.
Les directives, nous le savons maintenant, étaient de passer à
l'attaque le samedi matin 26 août à quatre heures trente [213] .
Et le 25 à six heures du soir, rien de ce qui était arrivé pendant la journée,
et certainement pas les assurances
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