Le Troisième Reich, T1
l'armée elle-même.
Les Alliés finirent par exiger un oui ou un non. Le 16 juin,
veille du jour de la réponse écrite d'Hindenburg à Ebert, ils envoyèrent un
ultimatum : si le traité n'était pas accepté le 24 juin au plus tard, l'accord
d'armistice perdrait ses effets et ils prendraient telles mesures qu'ils
jugeraient nécessaires pour faire appliquer leurs conditions.
Ebert adressa un nouvel appel à Grœner. Si le haut commandement
estimait qu'il y eût la moindre possibilité de résister aux Alliés, il se
faisait fort d'obtenir de l'Assemblée qu'elle rejetât le traité; mais il
demandait une réponse immédiate. Le dernier jour fixé par l'ultimatum, le 24
juin, était arrivé; le conseil de cabinet devait se réunir à seize heures
trente pour prendre sa décision définitive. Grœner et Hindenburg conférèrent
une fois encore et le feld-maréchal, las, vieillissant, avoua : « Vous savez
comme moi que toute résistance par les armes est impossible. »
Mais, de nouveau — et de même que le 9 novembre 1918, à Spa, il
n'avait pu se résoudre à mettre le Kaiser en face de la situation et en
laissait la corvée à Grœner —, il refusa de dire la vérité au président
provisoire. « Vous pouvez donner la réponse au président aussi bien que moi (3)
», répliqua-t-il à son adjoint. De nouveau, le général assuma la responsabilité
qui incombait au feld-maréchal, bravement, car il ne pouvait ignorer qu'elle
ferait de lui, doublement, un bouc émissaire aux yeux du corps des officiers.
Il télégraphia donc à Ebert l'avis du haut commandement.
Soulagée de ce que cette responsabilité reposât désormais sur
les chefs militaires, l'Assemblée nationale vota la ratification à une forte
majorité. Sa décision fut communiquée à Clemenceau dix-neuf minutes avant
l'expiration de l'armistice. Quatre jours après, le 18 juin 1919, le traité fut
signé au palais de Versailles, dans la galerie des Glaces.
LA MAISON COUPEE EN DEUX
De ce jour, l'Allemagne fut comme une maison coupée en deux. Les
conservateurs ne consentirent à accepter ni le traité de paix ni la République
qui l'avait ratifié. En fin de compte, l'armée (sauf le général Grœner) se
montra aussi rétive, bien qu'elle se fût engagée à soutenir le régime
démocratique nouveau et qu'elle eût elle-même pris la décision de la signature
à Versailles. En dépit de la « Révolution » de novembre, les conservateurs
continuaient à détenir la puissance économique; ils possédaient les industries,
les grands domaines et la plus grande partie du capital national. Ils étaient
en mesure de subventionner les partis et la presse politiques qui allaient dès
lors s'employer à miner la République. Et ils ne s'en privèrent point.
L'encre du traité avait à peine eu le temps de sécher que déjà
l'armée commença de tourner les restrictions d'ordre militaire qui y étaient
stipulées. Profitant de l'imprévoyance et de la timidité des chefs socialistes,
le corps des officiers s'arrangea, non seulement pour maintenir l'armée dans la
voie de ses vieilles traditions prussiennes, ainsi que nous l'avons vu, mais aussi
pour devenir le véritable centre du pouvoir politique dans la nouvelle
Allemagne. Jusqu'aux derniers jours de la République, lesquels ne tardèrent
guère, elle ne lia son sort à aucun des mouvements existants; mais, sous le
général Hans von Seeckt, le brillant créateur de la Reichswehr à l'effectif de
100 000 hommes, elle devint, malgré ce chiffre relativement faible, un État
dans l'État, qui exerça une influence sans cesse croissante sur la politique
extérieure et intérieure, si bien que l'existence même de la République en
arriva à dépendre de sa volonté.
État dans l'État, elle sut garder son indépendance à l'égard du
gouvernement national. Aux termes de la Constitution de Weimar, elle aurait pu
être subordonnée au cabinet et au Parlement, comme l'étaient les armées des
autres démocraties occidentales. Mais il n'en fut rien. Le corps des officiers
ne fut pas davantage purgé de sa mentalité monarchiste et antirépublicaine.
Quelques leaders socialistes, tels que Scheidemann et Grzesinski, étaient
d'avis de « démocratiser » les forces armées, car ils voyaient bien le danger
qu'il y avait à la remettre aux mains des officiers imbus de la vieille
tradition autoritaire et impérialiste ; mais ils se heurtèrent sans succès à
l'opposition non seulement des généraux, mais
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