Le Troisième Reich, T1
officier de métier de l'armée américaine, le capitaine Smith a montré de
remarquables aptitudes à l'analyse politique. A Munich, en une seule semaine,
du 15 au 22 novembre, il sut rencontrer Ludendorff, le prince héritier Rupprecht
et une douzaine de leaders bavarois; la plupart lui dirent qu'Hitler était un
astre naissant et que son mouvement prenait rapidement de l'importance. Smith
n'hésita plus; il assista à un meeting en plein air où Hitler prit la parole. «
Jamais rien vu de pareil dans ma vie », nota-t-il tout de suite après dans son
Journal. « Rencontré Hitler; il m'a promis pour lundi un entretien où il
m'expliquerait ses intentions. » Le lundi, Smith se rendit au domicile d'Hitler
— « une petite chambre nue, au deuxième étage d'une maison délabrée » — et il
eut une longue conversation avec le futur dictateur, qui était à peine connu
hors de Munich. L'attaché militaire adjoint commença son Journal de ce soir-là
par les mots : « Un extraordinaire démagogue! J'ai rarement écouté un homme
aussi logique et aussi fanatique. » On était le 22 novembre 1922.
Juste avant de quitter Munich le soir même, Smith vit
Hanfstaengl, lui parla de sa conversation avec Hitler et lui conseilla de
l'observer. Le chef nazi devait parler à un meeting, précisément ce soir-là et
Smith donna à Hanfstaengl son billet pour la tribune de la presse. Ce dernier,
comme tant d'autres, fut émerveillé par la faconde de l'orateur, se mit à sa
recherche à la fin de la réunion et ne tarda pas à se convertir au nazisme.
De retour à Berlin, ville qui se souciait fort peu d'Hitler à
cette époque, Smith rédigea un rapport long et circonstancié que l'ambassade
transmit à Washington le 25 novembre 1922. Si l'on tient compte de la date, le
document est remarquable :
« La force politique la plus active en Bavière actuellement,
écrivait Smith, est le Parti ouvrier national socialiste. Moins parti politique
que mouvement populaire, il doit être considéré comme le pendant bavarois du
fascisme italien... Il a récemment acquis une influence politique tout à fait
disproportionnée à ses effectifs présents...
« Dès le début, Adolf Hitler a été la force qui domine le
mouvement, et la personnalité de cet homme a certainement constitué un des
premiers facteurs de sa réussite... L'habileté dont il dispose pour influencer
une réunion populaire est surprenante. Dans les conversations privées, il s'est
montré un interlocuteur vigoureux et logique, caractère qui, renforcé par une
conviction fanatique, fit sur un auditeur neutre une très profonde impression.
»
Le colonel Smith, qui occupa le poste d'attaché militaire auprès
de l'ambassade américaine à Berlin durant les premières années du régime nazi,
a aimablement mis à la disposition de l'auteur son Journal et les notes
relatives à son voyage à Munich. Ces pièces ont été d'une valeur inappréciable
pour là composition du présent chapitre.
[21] Hanfstaengl passa une partie de la deuxième guerre mondiale à Washington,
prétendument comme interné ennemi, mais en fait comme « conseiller » du gouvernement
des États-Unis pour l'Allemagne nazie. Ce rôle final de sa vie, qui semblait
particulièrement ridicule aux Américains qui le connaissaient et connaissaient
son pays devait l'amuser fort.
[22] Le général baron Walther von Luettwitz, officier et réactionnaire de la vieille
école, témoigna son loyalisme à l'égard de la République, et particulièrement
de Noske, un an plus tard, à la tête des corps francs qui s'emparèrent de
Berlin pour appuyer le putsch Kapp. Ebert, Noske et le cabinet tout entier
durent fuir le 13 mars 1920 à cinq heures du matin. Le général von Seeckt, chef
de l'état-major, nominalement subordonné de Noske, ministre de la Défense,
refusa de permettre à l'armée de protéger la République contre Luettwitz et
Kapp. « Cette nuit a prouvé la faillite de toute ma politique, s'écria Noske.
Ma confiance dans le corps des officiers est morte. Vous m'avez tous abandonné.
» Cité par Wheeler-Bennett dans The Nemesis of Power, p. 77.
[23] Les fissures ne manquaient pourtant pas dans ce bel édifice, et certaines, à
l'usage, furent désastreuses. Le système de représentation proportionnelle et
de scrutin de liste empêcha peut-être la dispersion des suffrages, mais il
entraîna aussi la multiplication des partis minuscules, qui finit par rendre
impossible une majorité stable au
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