Le Troisième Reich, T1
disposition à l'examen de
conscience, le désir ardent d'apprendre, le goût de la musique et de la poésie,
le besoin d'être juste aux yeux de Dieu — laissa sur la vie des Allemands, pour
le bien comme pour le mal, une empreinte plus ineffaçable, plus emplie de
destin que quiconque à quelque époque que ce soit.
Par ses sermons et par sa magnifique traduction de la Bible,
Luther a créé la langue allemande moderne; il a suscité chez les Allemands non
seulement une nouvelle vision protestante du christianisme, mais aussi un
nationalisme fervent ; il leur a inculqué, en matière religieuse tout au moins,
la suprématie de la conscience individuelle. Mais, malheureusement pour eux, le
fait qu'il ait pris le parti des princes dans les soulèvements paysans pourtant
inspirés par lui dans une large mesure et sa passion pour l'autocratie
déterminèrent la formation d'un absolutisme politique provincial et primitif
qui réduisit la grande majorité du peuple à la pauvreté, à un état de torpeur
et à une dégradante servitude; pis encore peut-être, il concourut à perpétuer
et même à accentuer les divisions sans remède qui séparaient les classes
sociales et intervenaient entre les différents groupements dynastiques et
politiques de l'Allemagne, dont il empêcha l'unification pendant des siècles.
La guerre de Trente Ans et la paix de Westphalie (1648), qui la
termina, portèrent au pays un coup final, si désastreux qu'il ne s'en est
jamais tout à fait relevé. Ce fut le dernier des grands conflits de religion en
Europe; mais, avant sa fin, de protestant-catholique, il dégénéra en lutte
dynastique confuse entre l'Autriche catholique des Habsbourg, d'une part, la
France catholique des Bourbons et la monarchie protestante suédoise, d'autre
part. Dans les combats féroces que se livrèrent leurs armées, les villes et les
campagnes allemandes furent dévastées et pillées, les habitants décimés; on a
même estimé qu'un tiers d'entre eux périrent pendant cette guerre barbare.
La paix de Westphalie fut presque aussi fatale pour l'avenir de
l'Allemagne que l'avaient été les hostilités. Ses princes, qui s'étaient rangés
aux côtés de la France et de la Suède, furent confirmés dans leur situation de
souverains absolus sur leurs petits territoires (il y en avait quelque 350),
l'empereur ne gardant qu'une suprématie de façade sur les pays de l'Allemagne.
L'élan réformiste et culturel qui avait soulevé le pays à la fin du XVe siècle
et au début du XVIe fut étouffé. Durant cette période, les grandes villes
avaient joui d'une quasi-indépendance; la féodalité avait disparu, les arts et
le commerce y fleurissaient. Les paysans eux-mêmes s'y étaient assurés des
libertés bien supérieures à celles de leurs pareils en France et en Angleterre.
Bref, au début du XVIesiècle, l'Allemagne pouvait être tenue pour
une des sources de la civilisation européenne.
Or, après les traités de Westphalie, elle se trouva dans l'état
de barbarie qui régnait en Moscovie. Le servage fut rétabli, et même introduit
dans des régions où il était inconnu auparavant. Les villes perdirent leur
autonomie. Paysans, ouvriers, bourgeois des classes moyennes furent exploités à
l'extrême par les princes, qui les maintenaient dans une servitude dégradante.
La culture intellectuelle et les arts furent presque abandonnés. Les souverains
avides, fermés à tout sentiment national, en supprimèrent les manifestations
chez leurs sujets. La civilisation allemande s'arrêta au point mort. Un
historien a écrit que le Reich « fut artificiellement stabilisé à un niveau
médiéval de désordre et de faiblesse (22) ».
L'Allemagne ne se releva jamais d'un pareil recul. L'acceptation
de l'autocratie et de l'obéissance aveugle à des tyranneaux qui se posaient en
princes s'enracina dans sa mentalité. L'idée démocratique du gouvernement
parlementaire, qui connut de si rapides progrès en Angleterre aux XVIIe et
XVIIIe siècles et qui explosa en France en 1789, n'eut pas d'éclosion en
Allemagne. Politiquement en retard et divisés en une multitude de petits États
à l'intérieur desquels ils étaient isolés des courants de pensée et des progrès
européens, les Allemands restèrent loin derrière les habitants des autres pays
occidentaux, sans développement national naturel. C'est ce qu'il ne faut pas
oublier si l'on veut comprendre sur quelle route semée de désastres ils
s'engagèrent dans la
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