Le Troisième Reich, T2
prétendit-il, notamment par une
dépêche du correspondant de l’United Press à Berlin, signalant le
débarquement de soldats allemands dans trois ports finlandais au moins. Il
jugeait inadmissible que le ministre des Affaires étrangères du Reich se soit
dispensé de l’en informer lui-même.
« Le gouvernement soviétique, dit-il, tient à
connaître l’objet exact de l’accord germano-finlandais, contre qui il est
dirigé et quels desseins il se propose de servir. Il souhaite que lui soit
communiqué le document signé entre l’Allemagne et la Finlande, sans omettre les
protocoles secrets (23). »
Pour aussi obtus qu’il fût, Ribbentrop perçut la nécessité d’apaiser
le Kremlin. Le 2 octobre, il expédia à Molotov ce qu’il disait être le
texte de l’accord germano-finlandais et joignit l’assurance que le pacte
tripartite signé entre-temps n’était nullement dirigé contre l’Union Soviétique
et ne comportait ni clauses ni protocoles secrets (24) [94] .
Le 7 octobre, Ribbentrop chargeait Tippelskirch d’apprendre
à Molotov, toujours aussi « incidemment », l’envoi
d’une mission militaire en Roumanie. La réaction du ministre soviétique
prouve qu’il n’était pas dupe : « Combien de corps d’armée
envoyez-vous là-bas ? » questionna-t-il (25). Ribbentrop adressa
alors à Staline une longue lettre personnelle, destinée à dissiper le malaise
russe à l’égard de Berlin (26).
Ainsi que l’on peut s’y attendre de la part du personnage, c’est
une épître à la fois imbécile et arrogante, un tissu d’insanités, de mensonges
et de faux-fuyants.
L’Angleterre est responsable de la guerre et de ses
prolongements, écrivait Ribbentrop, mais une chose est certaine, « nous l’avons
gagnée. La seule question qui se pose est celle-ci : Combien de temps l’Angleterre
mettra-t-elle à s’avouer vaincue ? »
L’envoi de missions militaires allemandes en Roumanie, les
tractations dissimulées avec la Finlande, le Pacte tripartite lui-même
y sont présentés sous couleur de manœuvres favorables à la Russie.
Une fois de plus, Ribbentrop accuse la diplomatie et les agents
secrets britanniques de vouloir créer des dissensions entre l’Allemagne et l’Union
Soviétique. Pour faire échouer leurs intrigues, ne serait-il pas opportun, suggère-t-il,
d’envoyer Molotov à Berlin « afin que le Führer en
personne puisse lui exposer ses vues touchant les relations futures des deux
pays ? »
Un paragraphe astucieux, souligné par l’auteur de la lettre, laissait
entendre en quoi consistaient ces « vues » d’Hitler. Il ne s’agissait
de rien de moins que du partage du monde entre les quatre puissances
totalitaires.
« Il appartient aux quatre grandes puissances, l’Union
Soviétique, le Japon, l’Italie et l’Allemagne, d’adopter une politique à longue
portée… par la délimitation de leurs sphères d’intérêt respectives, établies à
l’échelle mondiale. »
La lettre, expédiée par le truchement de l’ambassade d’Allemagne
à Moscou, parvint à destination avec quelque retard, ce qui eut le don de
mettre Ribbentrop en rage et valut à Schulenburg une
dépêche furieuse :
« Pourquoi ma lettre n’a-t-elle été remise que le 17 et
pourquoi (au mépris de son importance capitale) à Molotov au lieu de Staline en
personne (27) ? »
Quoi qu’il en fût, Staline en personne répondit, le 22 octobre,
sur un ton extrêmement cordial : « Molotov, dit-il en substance, reconnaît
l’opportunité de sa visite à Berlin et accepte par conséquent votre invitation
(28). »
La bienveillance de Staline n’était qu’un masque. En effet, quelques
jours plus tard, il demandait des explications au refus de l’Allemagne de
fournir du matériel de guerre à la Russie, alors qu’elle en expédiait à la
Finlande. « C’est la première fois que le Kremlin fait état de nos
fournitures d’armes à la Finlande », signale von Schulenburg (29).
Molotov vient d’arriver à Berlin par temps gris et sous la
pluie. Je l’ai vu passer Unter den Linden, en route vers l’ambassade soviétique.
Il ressemble à un maître d’école provincial. Voire… Pour avoir survécu si
longtemps aux rivalités du gang d’égorgeurs du Kremlin, cet homme doit être
quelqu’un. Il a reçu un accueil extrêmement froid et cérémonieux.
… A grands renforts de paroles, les Allemands proposent de
faire don aux Russes du Bosphore et des
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