Le Troisième Reich, T2
minorité… Des
perspectives d’envergure mondiale s’ouvrent… Par conséquent, tous les pays
susceptibles de s’intéresser au « domaine en liquidation » doivent
faire taire leurs dissensions et ne plus s’occuper que du partage de l’Empire
britannique.
L’impavide Commissar ne parut pas le moins du monde
impressionné par ces étincelantes perspectives. Pas convaincu non plus de l’imminence
du démembrement de l’Empire britannique. Il allait bientôt revenir sur ce point
et se plaire à remuer le fer dans la plaie. Pour le quart d’heure, il
souhaitait s’en tenir aux problèmes particuliers à l’Europe, comme la Roumanie,
la Bulgarie et la Turquie.
« Qu’il me soit permis de m’exprimer sans ambages, commença-t-il.
Le gouvernement soviétique estime que la garantie donnée par l’Allemagne à la
Roumanie représente un acte hostile aux intérêts de la Russie. »
S’exprimer sans ambages ! Il n’avait fait que cela de tout
l’après-midi, à l’irritation grandissante de son hôte, et ce n’était pas fini. Il
demandait à présent la révocation de la garantie en question. Hitler s’y refusa.
Fort bien, repartit Molotov : que
diriez-vous si, « en vue de ses intérêts dans les Dardanelles, l’Union
Soviétique accordait à la Bulgarie une garantie exactement équivalente à celle
que l’Allemagne et l’Italie viennent d’assurer à la Roumanie ?
On imagine facilement le froncement de sourcils du dictateur.
« La Bulgarie a-t-elle fait des ouvertures dans ce sens au gouvernement
soviétique ? S’enquit-il. Le gouvernement du Reich n’en a pas connaissance. »
Quoi qu’il en soit, ajouta-t-il, il lui fallait consulter Mussolini avant de
donner une réponse définitive à la question posée.
Puis, sur un ton de menace, il conclut : « Si, par
aventure, l’Allemagne recherchait une source de friction avec la Russie, elle n’aurait
aucunement besoin des Dardanelles pour cela. »
Arrivé là, le Führer, si loquace d’ordinaire, se sentit
incapable de soutenir davantage le corps-à-corps verbal avec ce bolchevik
impossible. « A ce stade des conversations, lisons-nous dans le
procès-verbal allemand, le Führer fit remarquer l’heure tardive et déclara que,
en raison d’une possible attaque aérienne des Anglais, mieux valait suspendre
la séance. Au demeurant, les questions capitales avaient été suffisamment
débattues. »
Ce soir-là, Molotov offrait à l’ambassade
soviétique un dîner de gala à ses hôtes allemands. Hitler, probablement fourbu
et surtout rendu furieux par le match de l’après-midi, s’abstint d’y paraître. En
revanche, la R. A. F. tint à faire acte de présence. Quelques-uns d’entre nous,
avouons-le, souhaitaient impatiemment la visite des bombardiers britanniques et
se demandaient pourquoi ils n’avaient pas encore fait leur apparition au-dessus
de Berlin, comme presque chaque soir à la tombée de la nuit. L’occasion était
belle de démontrer au ministre d’U. R. S. S. que, contrairement à ce que les
Allemands venaient de lui raconter, l’Angleterre – bien en vie – continuait le
combat.
Vers vingt heures, ayant redouté le pire, ces messieurs de la
Wilhelmstrasse se montrèrent visiblement soulagés. Pas pour longtemps.
Peu après vingt et une heures [96] ,
les sirènes se mirent à mugir et, tout de suite, ce fut le tonnerre crépitant
des tirs de barrage accompagné du vrombissement des bombardiers.
« Au moment précis où Ribbentrop se levait pour répondre
au toast amical porté par Molotov à ses invités, raconte Schmidt présent au
banquet, les sirènes retentirent et les convives se précipitèrent en courant
sur Unter den Linden, où se trouve l’ambassade soviétique, jusqu’à l’abri du
ministère des Affaires étrangères, dans la Wilhelmstrasse. » Allemands et
Russes s’y réfugièrent pêle-mêle. Quelques-uns, dont Schmidt, allèrent se tapir
à l’Hôtel Adlon , devant lequel nous étions postés. Ainsi, ils ne purent
assister à l’entretien impromptu des deux hommes d’État dans les profondeurs
souterraines du ministère.
En l’absence forcée de l’interprète officiel, le procès-verbal
en fut établi par Gustav Hilger, conseiller de l’ambassade d’Allemagne à Moscou
et l’un des interprètes auxiliaires de la conférence. Tandis que les
bombardiers de la R. A. F. survolaient le Berlin nocturne et que les canons
anti-aériens leur tiraient dessus sans beaucoup
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