Le Troisième Reich, T2
son camarade. Ce dernier sépara des autres une vingtaine de
personnes et leur donna l’ordre d’aller derrière le monticule. Je revois encore
une jeune fille mince, aux cheveux noirs, qui, en passant près de moi, se
montra elle-même du doigt en disant : « Vingt-trois ans. »
« Je contournai le monticule et me trouvai devant une
immense tombe. Les corps étaient étroitement emmêlés et gisaient les uns
au-dessus des autres, si bien que leurs têtes seules étaient visibles. Certains
remuaient encore. Quelques-uns levaient les bras et tournaient la tête pour
montrer qu’ils vivaient encore. La fosse était déjà aux deux tiers pleine. J’estimai
qu’elle contenait environ un millier de cadavres. Je cherchai du regard l’homme
qui tirait. C’était un S. S. Il était assis sur le rebord de l’extrémité
resserrée de la fosse, les pieds pendant au-dessus du trou. Une mitraillette
était posée sur ses genoux et il fumait une cigarette.
« Les malheureux, complètement nus, descendirent
quelques marches, enjambèrent ceux qui gisaient là pour atteindre la place que
leur désignait le S. S. Ils s’allongèrent devant les morts et les mourants ;
certains se mirent à caresser ceux qui vivaient encore et à leur parler à voix
basse. Puis j’entendis une série de détonations. Je regardai dans la fosse et
vis des corps qui se tordaient ou des têtes qui reposaient, déjà immobiles, sur
les corps étendus sous elles. Le sang coulait des nuques des victimes.
« Le groupe suivant approchait déjà. Ils descendirent
dans la fosse, s’alignèrent contre les victimes précédentes et furent abattus. »
Et cela se poursuivit, groupe après groupe. Le lendemain matin, l’ingénieur
allemand retourna à la fosse.
« Je vis une trentaine de corps nus gisant près de la
fosse. Quelques-uns vivaient encore… Un peu plus tard, les Juifs encore vivants
reçurent l’ordre de jeter les cadavres dans la fosse. Puis ils durent s’allonger
à leur tour dedans pour recevoir une balle dans la nuque… Je jure devant Dieu
que ceci est l’absolue vérité (47). »
Combien de Juifs et de fonctionnaires russes du Parti communiste
(le nombre des premiers dépassants de beaucoup celui des seconds) furent-ils
massacrés par les Einsatzgruppen en Russie avant que l’Armée Rouge n’en
chassât les Allemands ? On n’a jamais pu en établir le total exact à
Nuremberg, mais les dossiers d’Himmler, si incomplets soient-ils, en donnent
une idée.
L’Einsatzgruppe D d’Ohlendorf, avec ses 90 000
victimes, ne se distingua pas autant que certains autres. Ainsi le Groupe A, opérant
dans le Nord, rendait compte, le 31 janvier 1942, qu’il avait « exécuté »
229 052 Juifs dans la région de la Baltique et en Russie Blanche. Son chef,
Franz Stahlecker, écrivait à Himmler qu’il rencontrait des difficultés dans
cette dernière région, en raison du retard causé par les grandes gelées qui
rendent les exécutions massives beaucoup plus difficiles. « Malgré cela, disait-il,
41 000 Juifs (en Russie Blanche) ont été tués jusqu’à maintenant ».
Stahlecker, à qui un peu plus tard au cours de cette même année
les partisans devaient régler son compte, joignait à son rapport une magnifique
carte indiquant le nombre de personnes tuées – représentées par des cercueils –
dans chaque secteur placé sous son commandement. Rien qu’en Lithuanie, d’après
la carte, 136 421 Juifs avaient été tués ; 34 000 environ
avaient été épargnés momentanément, « car on en avait besoin comme main-d’œuvre ».
L’Esthonie, qui comptait relativement peu de Juifs, fut déclarée dans ce même
rapport « libérée des Juifs (48) ».
Les pelotons d’exécution des Einsatzgruppen , après avoir
marqué un temps d’arrêt, pendant ce rude hiver, tirèrent tout au long de l’été
1942. A la date du 1er juillet, quelque 55 000 Juifs de plus avaient
été exterminés en Russie Blanche, et en octobre les 16 000 derniers
habitants du ghetto de Minsk furent expédiés en un seul jour. En novembre, Himmler
pouvait rendre compte à Hitler que 363 211 Juifs avaient été tués en
Russie entre le mois d’août et le mois d’octobre. Ce chiffre avait peut-être
été exagéré dans le but de plaire au Führer assoiffé
de sang (49) [194] .
L’un dans l’autre, d’après Karl Eichmann, chef du bureau juif de
la Gestapo, les Einsatzgruppen liquidèrent dans l’Est 2 millions
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