Le Troisième Reich, T2
dans l’œuf la moindre opposition.
Les étudiants allemands avaient compté, nous l’avons vu, parmi
les nazis les plus fanatiques des années 30. Mais dix ans sous la férule
hitlérienne avaient amené bien des déceptions, encore accrues par l’échec de l’Allemagne
sur le plan militaire, et surtout par le récent désastre de Stalingrad. A
Munich, berceau du nazisme, l’Université devint le foyer de la révolte des
étudiants.
Celle-ci était menée par un étudiant en médecine âgé de
vingt-cinq ans, Hans Scholl, et par sa sœur de vingt et un ans, Sophie, étudiante
en biologie. Ils avaient pour conseiller Kurt Huber, professeur de philosophie.
Par le truchement de ce qui fut bientôt connu sous le nom des « Lettres de
la Rose Blanche », ils menaient leur propagande antinazie dans d’autres
universités. Ils étaient également en contact avec les conspirateurs de Berlin.
Un jour de février 1943, le Gauleiter de Bavière, Paul Giesler, auquel
la Gestapo venait de remettre un dossier des lettres incriminées, convoqua les étudiants
et leur annonça que les étudiants physiquement inaptes – les autres avaient été
déjà appelés pour le service armé – allaient dorénavant être affectés à un
travail utile pour la conduite de la guerre, et il suggéra en ricanant que les
étudiantes aient un enfant chaque année pour le bien de la Patrie. « Si
certaines de ces demoiselles, ajouta-t-il, manquent du charme suffisant pour
attirer un compagnon, j’assignerai à chacune d’elles un de mes adjoints… et je
puis leur promettre une expérience des plus plaisantes. »
Les Bavarois sont connus pour leur humour assez lourd, mais
cette vulgarité était plus que n’en pouvaient supporter les étudiants. Ils
firent taire le Gauleiter sous les huées, jetèrent hors de la salle les hommes
de la Gestapo et les S. S. accourus pour le protéger. Dans l’après-midi, les
étudiants se livrèrent à des manifestations antinazies dans les rues de Munich ;
c’était la première fois qu’une telle chose se produisait dans le Troisième
Reich. Conduits par les Scholl, les étudiants se mirent à distribuer des
manifestes appelant ouvertement la jeunesse allemande à la révolte. Le 19 février,
un chef d’immeuble vit Hans et Sophie Scholl jeter leurs tracts du haut du
balcon de l’Université, et il les dénonça à la Gestapo.
Leur fin fut rapide et atroce. Traînés devant le redoutable
Tribunal du Peuple, présidé comme d’habitude par Roland Freisler, peut-être le
plus sinistre et le plus sanguinaire nazi du Troisième Reich après Heydrich (on
le retrouvera plus loin), ils furent reconnus coupables de trahison et
condamnés à mort. Sophie Scholl fut si brutalement traitée par la Gestapo au
cours de son interrogatoire qu’elle comparut devant le tribunal avec une jambe
brisée. Mais son courage resta inébranlable. A Freisler, qui la rudoyait sans
pitié, elle répondit calmement : « Vous savez aussi bien que moi que
la guerre est perdue. Comment pouvez-vous être assez lâche pour ne pas l’admettre ? »
Elle clopina sur ses béquilles jusqu’à l’échafaud et mourut avec
un courage sublime. Son frère affronta la mort avec la même fermeté. Le
professeur Huber et plusieurs autres étudiants furent exécutés quelques jours
plus tard (8).
Ces événements vinrent rappeler aux conspirateurs de Berlin les
dangers qui les guettaient, à un moment où les indiscrétions de certains de
leurs chefs commençaient à être pour eux un souci constant. Gœrdeler lui-même
était beaucoup trop bavard. Les efforts de Popitz pour sonder Himmler et d’autres
officiers supérieurs S. S. et les gagner à la conspiration étaient risqués à l’extrême.
L’inimitable Weizsaecker – qui, après la guerre, se présenta comme un résistant
à toute épreuve – prit peur au point de rompre tout contact avec un de ses plus
proches amis, Hassell, qu’il accusait d’être « incroyablement indiscret »
et qui, lui dit-il, « était filé par la Gestapo [246] ».
Celle-ci en surveillait bien d’autres et, en particulier, le
jovial et confiant Gœrdeler ; pourtant, le coup qu’elle porta aux
conspirateurs aussitôt après mars 1943 fut le résultat moins d’un travail de
limiers, que de la rivalité existant entre les deux services secrets : l’Abwehr
de la Wehrmacht et le R. S. H. A. d’Himmler – service de Sécurité central – dont
dépendait le Service secret des S.
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