Le Troisième Reich, T2
par strangulation lente : on suspendait les victimes par
une corde de piano à des crochets de boucher empruntés à des boucheries ou à
des abattoirs. Les parents et les amis des suspects furent rassemblés par
milliers et envoyés dans des camps de concentration où beaucoup moururent. Les
quelques personnes courageuses qui donnèrent asile à ceux qui se cachaient
furent sommairement exécutées.
Saisi d’une fureur délirante et d’une soif inextinguible de
vengeance, Hitler fouailla Himmler et Kaltenbrunner afin qu’ils traquent
inlassablement tous ceux qui avaient osé, si peu que ce fût, comploter contre
lui. Il établit lui-même la procédure à appliquer pour les liquider.
« Cette fois, vociféra-t-il, lors d’une des premières
conférences qui suivirent l’explosion de Rastenburg, les criminels seront vite
expédiés. Pas de tribunal militaire. Nous les traînerons devant le tribunal du
peuple. Ils ne feront pas de longs discours. Le tribunal agira à la vitesse de
l’éclair. Et la sentence sera exécutée deux heures après avoir été prononcée. Par
pendaison – sans pitié (34). »
Ces instructions furent suivies à la lettre par Roland Freisler,
le président du tribunal du peuple ( Volksgericht ), un vil maniaque qui, prisonnier
de guerre en Russie au cours de la première guerre, était devenu un bolchévique
fanatique et qui, même après s’être mué, en 1924, en nazi non moins fanatique, était
demeuré un fervent admirateur de la terreur soviétique dont il avait étudié les
méthodes.
Il avait en particulier étudié la technique appliquée par Andrei
Vichinsky comme procureur général au cours des procès de Moscou, qui avaient eu
lieu pendant les années 30, et où les « Vieux Bolchéviques » et la
plupart des généraux en chef avaient été déclarés coupables de « trahison »
et liquidés. « Freisler est notre Vichinsky », s’était exclamé Hitler
lors de la conférence ci-dessus mentionnée.
Le premier procès des conspirateurs du 20 juillet devant le
tribunal du peuple eut lieu à Berlin les 7 et 8 août. Le maréchal von
Witzleben, les généraux Hœpner, Stieff et von Hase, les officiers Hagen, Klausing,
Bernardis et le comte Peter Yorck von Wartenburg, qui avaient travaillé
étroitement avec leur idole Stauffenberg, étaient au banc des accusés. Ils
étaient déjà très marqués par le traitement qu’ils avaient subi dans les caves
de la Gestapo, et, comme Gœbbels avait donné l’ordre de filmer chaque minute de
ce procès afin de pouvoir projeter le film devant les troupes et le public à
titre d’exemple et d’avertissement, tout avait été fait pour que les accusés
apparussent aussi lamentables que possible.
Habillés de vêtements informes, de vieux manteaux et de
chandails, ils pénétrèrent dans la salle du tribunal mal rasés, sans col, sans
cravate ; on leur avait même ôté bretelles et ceintures, afin de les
obliger à tenir leurs pantalons. Plus encore que les autres, le maréchal, autrefois
si fier, avait l’air d’un vieil homme édenté, terriblement brisé. On lui avait
enlevé ses fausses dents et, debout au banc des accusés, harcelé
impitoyablement par le venimeux président du tribunal, il agrippait son
pantalon pour l’empêcher de tomber.
« Espèce de vieux dégoûtant, hurla Freisler, pourquoi ne
cessez-vous pas de tripoter votre pantalon ? »
Pourtant, malgré le sort qui les attendait et qu’ils n’ignoraient
pas, les accusés se comportèrent avec dignité et courage, en dépit des efforts
incessants de Freisler pour les rabaisser. Le plus courageux fut peut-être le
jeune Peter Yorck, cousin de Stauffenberg ; aux questions les plus
insultantes, il répondit avec calme et sans jamais tenter de cacher son mépris
pour le national-socialisme.
« Pourquoi ne vous étiez-vous pas inscrit au parti ? demanda
Freisler.
— Parce que je ne suis pas et n’aurais jamais pu être un
nazi », répliqua le jeune comte.
Quand Freisler eut digéré cette réponse et voulut insister, Yorck
tenta de s’expliquer :
« Monsieur le président, au cours de mon interrogatoire j’ai
déjà déclaré que l’idéologie nazie était telle que…
— … vous ne pouviez l’accepter… l’interrompit le juge… vous n’acceptiez pas les
conceptions nationales socialistes de la justice en ce qui concerne l’extermination
des Juifs, peut-être ?…
— Ce qui importe avant tout, ce qui résume toutes
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