Le Troisième Reich, T2
ces
questions, répliqua Yorck, c’est la mainmise totale de l’État sur l’individu ;
qui le contraint à renoncer à ses obligations morales et religieuses envers
Dieu.
— Quelle sottise ! » cria Freisler, et il imposa
silence au jeune homme.
De tels propos risquaient de gâter le film du docteur Gœbbels et
de mettre en fureur Hitler, qui avait décrété : « Qu’on ne leur
laisse pas faire de longs discours. »
Les avocats nommés d’office dépassèrent les limites du grotesque.
Leur lâcheté, quand on lit les minutes du procès, semble presque incroyable. Ainsi,
l’avocat de Witzleben surpassa le procureur et égala presque Freisler, en
dénonçant son client comme un « meurtrier » pleinement coupable et
méritant le pire des châtiments.
La sentence fut exécutée aussitôt après la fin du procès, le 8 août.
« Ils devront tous être pendus comme du bétail », avait ordonné
Hitler, et ils le furent. Dans la prison de Plœtzensee. Les huit condamnés
furent poussés dans une petite pièce au plafond de laquelle pendaient huit
crochets de boucherie. L’un après l’autre, on les dépouilla jusqu’à la taille
de leurs vêtements, puis on les pendit en passant autour de leur cou un nœud
coulant fait d’une corde à piano attachée aux crochets. Une caméra filma les
hommes qui se balançaient, tandis que leurs pantalons, qu’aucune ceinture ne
retenait, glissaient, les laissant nus dans leur agonie (35). Le même soir, le
film était envoyé à Hitler afin qu’il pût le voir en même temps que les photos
du procès. On raconte que Gœbbels, pour ne pas s’évanouir, se cacha les yeux
des deux mains (36) [273] .
Tout au long de l’été, de l’automne, de l’hiver et au début de l’année
1945, le sinistre tribunal du peuple tint session, dépêchant ses procès
macabres et prononçant des condamnations à mort. Enfin une bombe américaine
tomba en plein sur le Palais de Justice dans la matinée du 3 février 1945,
juste au moment où l’on amenait Schlabrendorff dans la salle. Cette bombe tua
le juge Freisler et détruisit les dossiers de la plupart des accusés encore en
vie. C’est ainsi que Schlabrendorff échappa miraculeusement à la mort et fut
peu après libéré des griffes de la Gestapo par les troupes américaines opérant
dans le Tyrol. Ce fut l’un des très rares conspirateurs auxquels la fortune sourit.
Il convient maintenant de dire le sort que connurent les autres.
Gœrdeler, qui devait être Chancelier du nouveau régime, avait
disparu trois jours avant le 20 juillet, car on l’avait prévenu que la
Gestapo avait lancé contre lui un ordre d’arrestation. Il avait erré trois
semaines entre Berlin, Potsdam et la Prusse-Orientale, passant rarement deux
nuits au même endroit, mais toujours accueilli par des amis ou des parents qui
risquaient la mort en lui donnant asile, Hitler ayant mis sa tête à prix (un
million de marks). Dans la matinée du 12 août, épuisé et affamé, après
avoir erré plusieurs jours et plusieurs nuits, à pied, à travers la
Prusse-Orientale, il pénétra dans une petite auberge du village de Konradswalde,
près de Marienwerder.
Tandis qu’il attendait qu’on le servît, il remarqua une femme en
uniforme d’auxiliaire de la Luftwaffe qui le fixait intensément. Sans attendre
ce qu’il avait commandé, il sortit et fila dans les bois voisins. C’était trop
tard. La femme, une certaine Hélène Schwaerzel, connaissait depuis longtemps la
famille Gœrdeler. Elle le reconnut sans peine et s’empressa de confier sa
découverte à deux hommes de la Luftwaffe qui étaient assis avec elle. Gœrdeler
fut rapidement appréhendé.
Condamné à mort par le tribunal du peuple le 8 septembre
1944, il ne fut exécuté que le 2 février de l’année suivante, en même
temps que Popitz [274] .
Himmler différa, semble-t-il, leur pendaison dans l’espoir que les contacts
établis par les deux hommes – surtout Gœrdeler – avec les Alliés occidentaux à
travers la Suède et la Suisse se révéleraient utiles à ses desseins dans le cas
où il prendrait le gouvernail du navire en train de sombrer – perspective qui
prenait de plus en plus corps dans son esprit à cette époque (37).
Le comte Friedrich Werner von Schulenburg, ancien ambassadeur
allemand à Moscou, et Hassell, ancien ambassadeur à Rome, qui tous les deux
devaient se voir confier la direction de la politique étrangère sous le nouveau
régime
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