Le Troisième Reich, T2
pour se réfugier dans sa Bavière natale. Himmler rasa sa moustache, noua un bandeau noir sur son
œil gauche et endossa un uniforme de simple soldat. Mais le groupe de fugitifs
fut arrêté à un barrage britannique, entre Hambourg et Bremerhaven. Interrogé, Himmler révéla son identité à un capitaine
britannique, qui l’emmena aussitôt au Q. G. de la IIe armée, à Lüneburg. On le fouilla soigneusement et on l’habilla d’un uniforme anglais pour
éviter qu’il se servît d’un poison dissimulé dans ses vêtements.
Mais la fouille fut incomplète : Himmler avait dissimulé
une ampoule de cyanure de potassium dans une cavité de ses gencives. Quand un
officier du Service de Renseignements britannique arriva du Q. G. de Montgomery,
le 23 mai, et voulut faire examiner la bouche du prisonnier par un médecin,
Himmler brisa l’ampoule d’un coup de dent et mourut au bout de douze minutes, malgré
les efforts désespérés du médecin, ses vomitifs et ses lavages d’estomac.
Les autres proches collaborateurs d’Hitler vécurent un peu plus
longtemps. Je suis allé les voir au Procès de Nuremberg. Je les avais souvent
vus – au temps de leur gloire – au congrès annuel du parti, dans cette même
ville. Devant le tribunal militaire international, ils avaient bien changé d’allure !
Vêtus pauvrement, effondrés à leur banc, nerveux, agités, ils ne ressemblaient
plus guère aux chefs arrogants d’autrefois. On réalisait difficilement que de
tels êtres eussent détenu un pouvoir monstrueux, conquis une grande nation et
la plus grande partie de l’Europe.
Ils étaient 21 au banc des accusés [297] .
Gœring, maigri de 40 kilos, vêtu d’un uniforme défraîchi de la Luftwaffe, sans
aucun insigne, semblait très satisfait d’occuper la vedette, comme si on lui
reconnaissait – après la mort d’Hitler – sa place véritable dans la hiérarchie
nazie. Rudolf Hess, qui avait été le n° 3, en Allemagne, avant de s’enfuir
en Angleterre, offrait aux regards des traits émaciés et des yeux profondément
enfoncés, vides d’expression ; il simulait l’amnésie, mais c’était de
toute évidence un homme brisé.
Ribbentrop, enfin dépouillé de son arrogance et de sa morgue,
était pâle, voûté et abattu. Keitel n’avait plus son air effronté. Rosenberg, le
« philosophe » du parti aux idées confuses, “paraissait être le seul
à qui les événements aient ouvert les yeux et rendu le sens des réalités.
Julius Streicher, le bourreau des Juifs, était là également. Ce
pornographe sadique, que j’avais vu autrefois se promener par les rues de la
ville le fouet au poing, semblait s’être ratatiné sur lui-même. Vieilli et
voûté, chauve, il transpirait à grosses gouttes et dardait sur les juges un
regard venimeux. D’après ce que me raconta un garde, il prenait tous les juges
pour des Juifs !
Il y avait aussi Fritz Sauckel, le maître des camps d’esclaves
du Troisième Reich, avec ses petits yeux porcins. Il s’agitait nerveusement. A
côté de lui se trouvait Baldur von Schirach, premier chef des Jeunesses
hitlériennes puis Gauleiter de Vienne, plus américain qu’allemand par le sang ;
il avait l’air d’un collégien renvoyé de son école pour quelque sottise. Il y avait
encore Walther Funk, cette nullité au regard fourbe, qui avait succédé à
Schacht.
Et enfin le docteur Schacht lui-même, qui avait passé les
derniers mois du régime enfermé dans les camps de concentration de son Führer
autrefois révéré ; chaque jour, il avait craint d’être exécuté et il s’étranglait
maintenant d’indignation à l’idée que les Alliés pussent oser le juger, comme
criminel de guerre. Franz von Papen, plus responsable de l’avènement d’Hitler
que tout autre Allemand, figurait maintenant au nombre des accusés. Le vieux
renard accusait son âge, mais son expression rusée montrait bien qu’il saurait
se tirer de ce mauvais pas, comme en d’autres circonstances.
Neurath, le premier ministre des Affaires étrangères d’Hitler, un
Allemand de la vieille école, girouette d’une intégrité douteuse, paraissait
totalement abattu. Ce n’était pas le cas de Speer, qui, de tous, donna la plus
grande impression de droiture et – tout au long du procès – parla avec la plus
grande franchise, sans essayer de se dérober devant ses responsabilités et sa
culpabilité. Seyss-Inquart, le Quisling autrichien, se trouvait également au
banc des
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