Le Troisième Reich, T2
continue ». Quelques
Anglais, concluait-il, « se battent à coups de bec et d’ongle » ;
les autres « s’enfuient vers la côte et essayent de traverser la Manche
sur tout ce qui flotte. C’est la Débâcle », concluait-il, faisant
allusion au roman de Zola sur la défaite française dans la guerre
franco-prussienne.
Dans l’après-midi, après un entretien avec Brauchitsch, le chef
du grand état-major avait changé d’avis sur la signification de la multitude de
misérables petits bateaux sur lesquels les Britanniques s’enfuyaient.
Brauchitsch est en colère… La poche aurait été fermée sur
la côte si seulement nos blindés n’avaient pas été retenus. Le mauvais temps a
laissé la Luftwaffe à terre et, à présent, il nous faut rester là et regarder
les milliers d’ennemis qui filent en Angleterre sous notre nez.
C’était en effet ce qu’ils voyaient. En dépit de la pression
accentuée qui fut immédiatement exercée par les Allemands sur tous les côtés de
la poche, les lignes anglaises tenaient et de nouvelles troupes étaient
évacuées. Le lendemain, 31 mai, fut le plus grand jour de tous. Quelque 68 000
hommes furent embarqués pour l’Angleterre, un tiers sur les plages, le reste au
port de Dunkerque. 194 620 hommes au total
avaient été sauvés, quatre fois plus qu’on ne l’avait espéré.
Où était la fameuse Luftwaffe ? Elle était souvent, comme
Halder le nota, retenue au sol par le mauvais temps. Ou bien elle rencontrait
une opposition inattendue de la Royal Air Force qui, à partir de bases de l’autre
côté de la Manche, la défiait pour la première fois avec succès [59] .
Bien que surpassés en nombre, les nouveaux Spitfire prouvèrent qu’ils étaient
plus forts que les Messerschmitt et fauchèrent les lourds bombardiers allemands.
Quelquefois, mais rarement, les avions de Gœring survolèrent Dunkerque entre les sorties des Britanniques et
endommagèrent si sérieusement le port qu’il fut rendu inutilisable et que les
troupes durent être embarquées exclusivement sur les plages. La Luftwaffe se
livra aussi à des attaques sévères contre les bateaux et coula plus de 243
navires sur 861. Mais elle ne réussit pas à accomplir ce que Gœring avait
promis à Hitler : l’anéantissement du C. E. B. Le 1er juin, elle
exécuta sa plus violente attaque et subit ses plus lourdes pertes : 30
avions perdus de chaque côté. Elle coula trois destroyers anglais et nombre de
petits transports ; ce fut le second plus grand jour de l’évacuation :
64 429 hommes au total. A l’aube du lendemain, 4 000 soldats
britanniques seulement restaient dans le périmètre, protégés par 100 000
Français qui, à présent, occupaient les défenses.
Entre-temps, l’artillerie de campagne allemande était entrée en
ligne et on dut abandonner les évacuations de jour. A cette époque, la
Luftwaffe n’opérait pas après la tombée du jour, et pendant les nuits des 2 et 3 juin
on réussit à emmener le restant du C. E. B. et 60 000 soldats français. Dunkerque, toujours obstinément défendu par 40 000
soldats français, tint jusqu’au 4 juin au matin. A ce jour, 338 226
soldats anglais et français avaient échappé aux griffes des Allemands. Ce n’était
plus une armée ; la plupart d’entre eux, et c’était compréhensible, étaient
dans un piteux état. Mais ils avaient subi l’épreuve du combat ; ils
savaient que, s’ils avaient été convenablement armés et suffisamment protégés
par l’aviation, ils auraient pu tenir tête aux Allemands. La plupart, quand l’armement
fut équilibré, le prouvèrent sur des plages peu éloignées de la côte d’où ils
avaient été sauvés.
Dunkerque fut une délivrance pour les Anglais. Mais Churchill
leur rappela aux Communes, le 4 juin, que « les guerres ne sont pas
gagnées par des évacuations ». En vérité, la situation de l’Angleterre
était sombre, plus dramatique qu’elle n’avait été depuis le débarquement des
Normands, il y avait près de mille ans. Elle n’avait pas d’armée pour défendre
les îles. L’Air Force avait été très affaiblie en France. Seule la marine
restait, et la campagne norvégienne avait démontré combien les gros navires de
guerre étaient vulnérables aux attaques des appareils basés à terre.
A présent, les bombardiers de la Luftwaffe étaient basés à cinq
ou dix minutes de vol, de l’autre côté du Pas de Calais. La France, bien
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