Le vétéran

grosse bêtise.
    - C'est déjà fait. Et sa mère aussi a discuté avec elle. Elle est décidée à rompre ses fiançailles.
    Carré dans son fauteuil, l'éleveur regarda autour de lui, considérant le chemin parcouru depuis ses modestes débuts de cow-boy.
    - Certainement pas avec mon fils, rétorqua-t-il. Récupérant la lettre, il poussa vers le banquier une liasse de
    documents.
    - Je vous conseille de lire ceci.
    Effectivement, William ´Big Billª Braddock avait fait son chemin. Son grand-père avait émigré dans l'Ouest depuis Bismarck dans le Dakota du Nord, sa ville natale. H était le fils illégitime d'un cavalier mort au combat pendant les guerres indiennes. H s'était fait embaucher dans un magasin o˘ il avait passé toute sa vie, sans se faire renvoyer mais sans monter en
    m
    grade. Son fils avait suivi son humble exemple, mais le petit-fils avait préféré travailler dans un ranch. C'était un costaud et un dur à cuire, une brute épaisse qui n'hésitait jamais à régler les différends par des bagarres, dont il sortait presque toujours vainqueur. Tout ça ne l'empêchait pas d'être malin. Après la guerre, il avait repéré les premiers signes d'une opportunité pleine d'avenir : le camion réfrigéré, capable de transporter la meilleure viande de bouf du Montana à des centaines de miles du lieu d'élevage.
    H monta sa propre entreprise, commença par les camions et passa ensuite à
    l'abattage et à la vente en gros, jusqu'à ce qu'il contrôle toute la filière, de la sortie du ranch au barbecue. H créa aussi sa propre marque, Big Bill's Beef, du bouf bien juteux, élevé en plein air, tout frais et disponible dans votre supermarché habituel. quand il retourna à l'élevage, seul chaînon manquant de la filière bovine, ce fut en tant que patron. Le Bar-T Ranch, qu'il avait acheté dix ans auparavant, était une splendide maison restaurée, la demeure la plus imposante des bords de la Yellowstone. L'épouse de Braddock, une femme frêle et effacée qui passait facilement inaperçue, lui avait donné un seul fils, qui n'avait pas grand-chose en commun avec son père. Agé de vingt-cinq ans, Kevin était un jeune homme choyé et g‚té, qui avait une peur bleue de son père. Pourtant Big Bill était fou de son rejeton. Rien n'était trop beau pour son fils unique.
    Michael Pickett termina sa lecture livide et bouleversé.
    - Je ne comprends pas.
    - C'est pourtant très clair, Pickett. J'ai passé une semaine à racheter toutes les actions que j'ai pu. Ce qui signifie que je suis maintenant actionnaire majoritaire, et que je suis à la tête de votre banque. «a m'a co˚té un sacré paquet d'argent. Et tout ça à cause de votre fille. Jolie, je l'admets, mais rien dans la tête. Je ne sais pas qui est le type qu'elle a rencontré, et en plus je m'en fiche : dites-lui seulement de le laisser tomber. Elle n'a qu'à écrire à mon fils et reconnaître qu'elle s'est trompée. Ils renoueront leurs fiançailles.
    - Et si je n'arrive pas à la convaincre ?
    - Dans ce cas, prévenez-la qu'elle sera responsable de votre faillite totale. Je vous prendrai votre banque, votre maison, et 305
    tout ce que vous avez. Dites-lui bien qu'on ne vous fera même plus crédit pour un café dans tout le comté. C'est bien compris ?
    C'est un Michael Pickett complètement brisé qui descendit l'allée du ranch pour rejoindre l'autoroute. H savait que Brad-dock ne disait pas ça pour plaisanter. Il s'était déjà comporté de cette manière envers des gens qui lui causaient du tort. Il avait aussi annoncé à Pickett qu'il faudrait avancer le mariage à la mi-octobre, dans un mois.
    Le conseil de famille fut particulièrement désagréable. La mère de Linda alterna les accusations et les cajoleries. qu'est-ce qui lui passait par la tête ? Elle se rendait bien compte de ce qu'elle avait fait ? Le mariage avec Kevin Braddock lui apporterait instantanément ce que les autres mettaient toute une vie de labeur à obtenir. Une belle maison, un grand parc pour élever ses enfants, les meilleures écoles, un statut social.
    Comment pouvait-elle envoyer promener tout ça à cause d'une toquade pour un acteur au chômage qui jouait les éclaireurs pendant les vacances pour se faire un peu d'argent ?
    On avait aussi convoqué deux de ses frères qui vivaient et travaillaient dans le coin. L'un d'eux proposa de se rendre à Fort Héritage et d'avoir une conversation d'homme à homme avec l'intrus. Les deux frères