Le vétéran
prêt à
défendre son épouse si nécessaire.
- Elle n'est pas cassée, mais j'ai peur qu'elle ne soit foulée.
- Comment le savez-vous ?
- Je le sais, c'est tout.
- Et qui êtes-vous ?
- Le jardinier.
- Le jardinier ? D'ici ?
- Je soigne les rosiers, je balaie la cour, je m'occupe de l'entretien.
- Mais c'est le jour du Palio, vous n'entendez pas ?
- Si, bien s˚r. Il va me falloir des bandages. J'ai un T-shirt propre que je peux découper, et de l'eau froide pour empêcher la cheville d'enfler.
- qu'est-ce que vous faites ici le jour du Palio ?
- Je ne vais jamais voir le Palio.
- Pour quelle raison ? Tout le monde y va.
- ¿ cause de la date. Nous sommes le 2 juillet.
- qu'est-ce qu'elle a de particulier ?
- C'est aussi le jour de la Libération.
- quoi ?
- Il y a exactement trente et un ans, le 2 juillet 1944, Sienne a été
libérée de l'occupation allemande. Et il s'est produit quelque chose dans cette cour, quelque chose d'important. Je crois qu'il s'agissait d'un miracle. Bon, je vais chercher de l'eau.
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L'Américain était intrigué. De confession catholique, cet habitant de Topeka allait à la messe, se confessait et croyait aux miracles - seulement s'ils étaient ratifiés par le Vatican. Et s'il faisait ce voyage estival en Italie, c'était essentiellement pour voir Rome. Pour la visite de Sienne, il s'était décidé au dernier moment. Il promena son regard dans la cour déserte.
Elle faisait à peu près vingt mètres sur trente. Sur deux côtés, elle était fermée par deux hautes murailles de près de quatre mètres. Une arcade était pratiquée dans l'une d'elles, avec un portail grand ouvert qui leur avait permis d'entrer. Les deux autres murailles étaient encore plus hautes - au moins quinze mètres -, sans autres ouvertures que quelques meurtrières, et supportaient une toiture ; c'étaient les murs porteurs d'un b‚timent massif, vieux de plusieurs siècles. ¿ l'autre bout de la cour, une deuxième porte était encastrée dans le mur de l'immense édifice. Solidement barricadée, elle n'était pas faite de planches, mais de madriers rivés les uns aux autres pour résister aux attaques. Aussi ancien que la cité ellemême, le bois était depuis longtemps décoloré par le soleil, à l'exception de quelques traînées brun‚tres.
Tout un côté de la cour était occupé par un cloître, dont le toit en pente, soutenu par des colonnes de pierre, faisait régner une ombre bien fraîche.
Le jardinier les rejoignit avec des bandes de tissu et une petite bouteille d'eau.
Il se remit à genoux pour envelopper la cheville abîmée de bandages bien serrés, qu'il avait imbibés d'eau afin de rafraîchir les chairs. L'épouse de l'Américain poussa un soupir de soulagement.
- Tu crois que tu peux marcher jusqu'au Palio ? questionna son mari. Elle se leva et testa sa cheville en grimaçant de douleur.
- qu'est-ce que vous en pensez ? demanda le touriste au jardinier, qui haussa les épaules.
- Les ruelles sont malcommodes, la foule dense et agitée. ¿ moins d'une échelle ou d'un endroit surélevé, vous n'y verrez rien du tout. Mais la fête se poursuit pendant la soirée. Vous pourrez assister à la reconstitution historique, dans toutes les rues. En plus il y aura un autre Palio au mois d'ao˚t. Vous ne pouvez pas attendre jusque-là ?
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- Non. Je dois m'occuper du bétail. Faut que je reparte la semaine prochaine.
- Bon, dans ce cas votre épouse peut marcher, mais en faisant bien attention.
- «a t'ennuie d'attendre un moment, chéri ? demanda-t-elle. Approuvant de la tête, le touriste jeta un coup d'oil à la cour.
- De quel miracle vous parlez ? Je ne vois pas de ch‚sse.
- Non, il n'y a ni ch‚sse ni statue de sainte. Pas pour le moment. «a viendra un jour, je l'espère.
- qu'est-ce qui s'est passé il y a trente et un ans ?
Récit du jardinier
- Vous avez combattu pendant la dernière guerre ?
- Bien s˚r ! Marine américaine, dans le Pacifique.
- Mais pas ici en Italie ?
- Non, mais mon petit frère y était. Sous les ordres de Mark Clark.
Le jardinier hocha la tête, comme s'il se replongeait dans son passé.
- Pendant toute l'année 44, les Alliés se sont battus pour remonter la péninsule Italienne, de la Sicile vers la frontière autrichienne au nord.
Et pendant ce temps, l'armée allemande ne cessait de livrer des combats et de battre en retraite. La retraite a duré longtemps. Au début, les Allemands étaient dans le camp de
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