Le Voleur de vent
seigneurs dont
il avait sauvé la vie, faisant d’eux ses obligés. Mais la perte de sa jambe, à
quoi s’ajoutaient les visions d’horreur de la Saint-Barthélemy et la révélation
qu’il eut de lui-même en sa faculté, sous la terreur, d’inventer ruse et d’organiser
résistance, lui fit à jamais changer de vie. À quoi la rumeur ajoutait amour d’une
belle prostituée, devenue sa créature et qu’il ne pouvait emmener vivre en son
ancien milieu.
Enfin, Henri quatrième qui savait se souvenir
qu’il fut lui-même huguenot, respectait Dieulefit – dont il savait la noblesse
–, l’homme qui avait sauvé plusieurs de ses amis si bien que les soldats du roi
ne s’aventuraient jamais du côté du cabaret de « L’âne mort », devenu
aussi inviolable que le Louvre.
Sotomayor ignorait encore tout cela, mais il
faillit vaciller de surprise en voyant le vieil homme repousser son or vers lui.
— Tu ne veux point de mon or ?… constata-il,
davantage qu’il ne questionnait.
Dieulefit secoua la tête.
— Non. Garde ton or, l’Espagnol, mais
rassure-toi, la besogne sera faite.
— Est-il explication au refus de mon or ?
Le vieil homme sourit.
— Tu n’as point tué Levrault quand tu le
pouvais. Vois-tu, neuf sur dix l’auraient fait soit pour m’étonner, soit par
cruauté ou par jeu, ce qui en tel cas est semblable affaire. J’ai estime pour
ceux qui respectent la vie, et cela depuis une certaine journée…
L’Espagnol n’était pas en bon entendement de
ce discours.
— Ah çà, mais on tue, en ton auberge de « L’âne
mort », et la chose est bien connue.
— Certes, mais si l’on tue, c’est avec
bon motif. On tue des bourgeois à bourses pleines et petits nobles arrogants et
tous sont des porcs qui viennent pour foutre nos femmes.
Son regard s’attarda un instant sur la
demi-douzaine de très jolies filles, puis il reprit :
— Nous sommes petite famille paisible. Dix-huit
hommes, six femmes. Tous heureux de vivre ici. Certes, nous pourrions
détrousser les bourgeois et les renvoyer, mais ils iraient se plaindre et nous
amèneraient désagréments…
Il s’ébroua.
— Revenons à ton affaire. Je ne veux
surtout point connaître l’homme que tu veux tuer mais, si tu as besoin d’aide, c’est
qu’il est redoutable. Je te donne quatre de mes meilleurs hommes.
— La chose est bonne.
— Quand te les faut-il ?
— Sur l’instant. Nous chevaucherons de
nuit et tendrons piège demain, après avoir reconnu la route.
— Qu’il en soit alors ainsi.
Le roi Henri
quatrième se promenait en les jardins des Tuileries, accompagné de Bassompierre,
qui marchait en retrait, et d’un homme plus âgé qui se trouvait très vieux
compagnon : Maximilien de Béthune, baron de Rosny et duc de Sully.
Ingénieur militaire de talent, non dépourvu de
courage, blessé à la bataille d’Ivry, il s’occupait, en la réalité des choses
du pouvoir, des finances en le royaume des lys. Huguenot, il détestait l’Espagne,
qu’il tenait pour le foyer de l’infection fanatique catholique si bien que sa
position se trouvait en ce cas d’espèce assez délicate : s’il prônait en
toutes choses les économies, ayant ainsi rétabli l’équilibre des finances du
royaume, il entrait en grande excitation dès lors qu’on parlait de faire la
guerre aux Habsbourg d’Espagne et d’Autriche et cela, quel que fût le prix à
payer.
Il savait la guerre très proche. Ainsi le
voulait Henri quatrième, ainsi le souhaitait-il lui-même. Et cette guerre, inévitable,
devait avoir lieu selon le moment favorable à la France qui devait attaquer à
son heure et ne point subir.
Henri quatrième souhaitait une armée qui
marquerait l’histoire : cent mille hommes dotés de l’équipement le plus
complet et le plus moderne, une artillerie sans rivale. Il fallait frapper vite
et fort, au sud, à l’est et au nord. Et mettre l’Espagne à genoux en deux mois.
Il le fallait à tout prix car, si l’on traînait et manquait de ferme résolution,
la guerre durerait dix ans, trente ans, et ravagerait l’Europe.
Avec soin et méthode, Sully travaillait à cet
office. En mai, Henri quatrième aurait tout ce qu’il souhaitait. On pourrait
aussitôt faire battre tambour et lancer en la bataille les plus beaux régiments
du monde.
Mais pour cela, il ne fallait point distraire
un écu de la cause sacrée car cette guerre serait coûteuse, aussi, monsieur de
Sully fit-il la
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