Le Voleur de vent
fois poussé cri étouffé en un âpre contentement, le
loup-garou l’étrangla. Néanmoins, cette façon contraria le moine défiguré car
le loup-garou, qui se trouvait être « Bleu », l’ancien officier, fit
la chose en quelques secondes, transformant douce caresse en strangulation, si
bien que la victime mourut sans souffrir. Aldomontano n’aimait point cela. Certes,
« Bleu » n’avait sans doute pas agi par humanité, car c’eût été là
gravité profonde et la raison de son geste tenait plutôt au bon contentement qu’il
tirait de l’attitude de la jeune fille mais gratitude, puisque c’était de cela
dont il s’agissait, relevait déjà de sentiments humains et ceux-ci ne devaient
plus exister chez ses créatures rendues à la nature.
— À l’église !… ordonna l’ambrosien
d’un ton rogue.
Les trois loups-garous se regardèrent avec
lueur d’excitation en les yeux car la mise à sac des églises leur procurait
toujours grand plaisir.
Le moine sans visage, pour sa part, se promit
de surveiller « Bleu ».
Pourtant, il se trompait.
« Bleu » avait certes agi par
gratitude, et en cela, le moine avait bien vu les choses. Mais tel sentiment n’était
pas de grande gravité car semblable, en la forme, à chien se frottant contre
les bottes de son maître qui vient de lui donner un os.
En revanche, l’ambrosien eût défailli s’il
avait suivi « Rouge » lorsque les loups-garous avaient visité chaque
maison où l’on retrouvait habitants dissimulés sous les lits, en les placards, les
caves et les greniers et tous se trouvaient aussitôt tête fendue par coup de
hache.
Cependant, en une pièce fermée à clé de la
demeure du forgeron, dont il ouvrit la porte d’un coup de botte, « Rouge »
était tombé nez à nez avec le petit enfant de deux ans que les villageois s’apprêtaient
à brûler.
« Rouge » se tenait là, l’épée en
une main et la hache franque en l’autre, la première ruisselant de sang, la
seconde de matière de cervelle.
Le loup-garou regardait l’enfant qui lui
souriait.
Il savait qu’il aurait dû le tuer. Ainsi le
souhaitait le maître. D’autre part, « Rouge » savait également ce qu’il
adviendrait du petit garçon s’il l’épargnait : abandonné, seul au monde, il
finirait en quelque ferme après une vie sans joie hanté par le souvenir des
loups-garous. S’il en avait souvenance et parlait, on ne le croirait point et
le moquerait… Une telle vie valait-elle d’être vécue ?
« Rouge » leva sa hache, mais sa
volonté fléchit et sa détermination vacilla.
Il ne pouvait point tuer si petit enfant qui
lui souriait avec confiance. Il n’avait point, ou plus, cette force. En outre, à
le bien regarder, le petit garçon continuait par sa seule existence la vie
achevée de « Jaune ». Pour lui, « Jaune » avait pris de
grands risques et connu horrible trépas. Le tuer, c’était de nouveau tuer « Jaune »,
ce malheureux et étrange compagnon qui ne ressemblait ni à « Bleu », ni
à « Vert ».
« Jaune », il l’oublierait sans
doute car en sa vie de loup-garou, souvente fois reclus entre quatre murs, il
oubliait et le monde, et les êtres connus, croisés, aperçus…
Mais « Jaune » lui rappelait un
monde aux contours incertains, où l’on ne disait point « Hon-Hon », un
monde qui apparaissait et disparaissait en instants fugitifs, comme masqués par
vapeur de soufre de la rivière du château des chimères.
« Rouge » sursauta et fut pris de
grande terreur en s’entendant dire malgré lui :
— Ton ami le loup t’attend en le vallon. Sauve-toi
par le jardin et cours-y vite sans jamais revenir ici.
Troublé, il conduisit le petit garçon à la
porte de derrière qu’il referma dès que l’enfant se fut élancé à la recherche
de « Jaune ».
Puis « Rouge » sortit en la rue en
regardant le sol, ayant conscience d’avoir commis acte que le « maître »
eût puni de mort s’il en avait eu connaissance.
Le voyant soucieux, marchant tête basse, l’ambrosien,
profondément en l’erreur, songea : « Quelle horrible besogne vient d’accomplir
“Rouge” ?… À l’évidence, il se fait peur à lui-même. La chose est bonne, fort
bonne ! »…
52
Le colonel de cavalerie Juan de Sotomayor
entra d’un pas décidé en l’auberge de « L’âne mort », que tous les
Parisiens savaient lieu de grands dangers, fort mal fréquenté par voleurs et
assassins,
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