Le Voleur de vent
comte. Chez celui-ci, elle aimait tout, jusqu’à
sa façon féline de se déplacer et cet air de ne point être là quand, sous
apparence nonchalante, il se tenait perpétuellement aux aguets.
Elle se sentait également rassurée qu’ils
partagent tant de choses non seulement en la manière de penser, mais également
d’exister.
Ainsi le comte était seul à se faire jeter, nu,
des seaux d’eau sur le corps, chaque matin et quel que fût le temps… veillant
simplement qu’elle ne se trouvât point en les parages !… En la même
croyance des bienfaits de la propreté, elle avait obtenu qu’on lui hissât
chaque matin un grand tonneau d’eau de mer en laquelle elle baignait. Certes, cela
ne valait point ses usages à terre où elle se lavait pareillement chaque jour
et tout entière avec de l’eau de fontaine chaude en laquelle avaient
préalablement bouilli plantes odoriférantes !… Certes encore, sur ce
bateau, cette eau donnait à la peau un goût salé mais tout plutôt que grande
saleté en laquelle vivaient tant de gens.
Enfin, elle aimait que le comte partageât son
goût des lettres et, sur la dunette, ils s’étaient plus d’une fois entretenus d’Horace,
Ovide, Homère, Virgile et bien d’autres encore.
Ils se parlaient de tout et de rien, de choses
lointaines en leur vie, de leur baptême où le comte, selon vieil usage, fut
passé de mains en mains à travers la fenêtre de l’église – et non point la
porte – afin que longue vie lui fût assurée quand pour elle, parrain et
marraine sonnèrent eux-mêmes les cloches, et à toute volée, afin qu’elle ne fût
point sourde… lors même qu’elle faillit bien le devenir en cette occurrence !
Cependant, elle songeait que peut-être, s’ils
s’entretenaient de toutes ces choses, ils évitaient d’en venir ainsi à d’autres,
plus actuelles et plus importantes, mais que disaient pourtant fort bien les
regards qu’ils échangeaient.
La baronne aimait le comte, et pensait, bien
qu’elle en doutât quelquefois, être aimée d’icelui en retour. Mais elle se
désespérait en songeant que, s’il ne se déclarait, les choses pouvaient
demeurer en l’état leur vie entière…
D’où lui venait alors une infinie tristesse…
— Sire, je le
quitte à l’instant, arrivant de l’Arsenal, et puis vous le révéler : le
duc de Sully n’est point en bonne satisfaction !
Le roi Henri quatrième leva les yeux sur son
cher François de Bassompierre qui venait de prononcer ces paroles avec accent
joyeux en la voix.
Se doutant, par l’attitude de son ami, que la
chose n’était point si grave, le monarque répliqua :
— Sully n’est jamais content. Même
lorsque l’or s’entasse en notre trésor, il trouve à y redire au motif qu’il n’y
en a jamais assez et qu’il ne rentre point assez vite… Quel est, cette fois, motif
de son courroux ?
— Nouvelles que vient sans doute d’apprendre
elle aussi Votre Majesté : l’amiral de Nissac a canonné Alger, coulé trois
galères et un galion barbaresques alors même qu’il a mission secrète contre les
Espagnols. Monsieur le duc de Sully lui reproche d’avoir enfreint les ordres.
Le roi répondit, rêveur :
— Si tous pouvaient le faire ainsi… Trois
galères et un galion, à lui seul, et ne subissant que dommages légers !… Et
puis Sully ne se rend point compte de la réalité : on ne donne pas d’ordres
à un Nissac dès lors qu’il est en mer, car autant dire chez lui.
— Quoi qu’en pense monsieur de Sully, c’est
encore là bel exploit pour vous-même et pavillon à fleurs de lys. En outre, bien
d’autres envient la France de posséder un comte de Nissac.
Le roi regarda amicalement Bassompierre.
— Tu aimes ce Nissac, n’est-ce pas ?
— Oui, Sire. C’est un homme rare. Son
désintéressement à vous servir est tel que moi-même qui cependant vous aime en
grande sincérité, et vous sers du mieux qu’il m’est possible, mais ne suis pas
en indifférence de la fortune, je ne suis point pareil à l’amiral de Nissac.
Le roi hocha la tête et la main qu’il leva
retomba, comme découragée.
— Que veux-tu, Bassompierre, Nissac n’est
point comme nous et ne le sera jamais. Mais là où est sa grandeur, réfléchis-y,
et où mon amitié pour lui trouve une de ses sources, c’est qu’étant tel, il n’exige
point des autres qu’ils soient pareils à lui. C’est cela, un grand seigneur.
Bassompierre n’osa affronter le
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