Le Voleur de vent
s’étonnera-t-on beaucoup moins en
apprenant que le propriétaire du lieu avait nom Jean Louis de La Valette, duc d’Épernon,
Grand Amiral de France, gouverneur de la Saintonge, de l’Angoumois et de l’Aunis…
et âme charbonneuse d’un infâme complot visant à tuer le roi de France !
Sur ordre du comte de Nissac, chacun cacha le
bas de son visage à l’aide de foulards rouges et le comte, tout en la
préoccupation de son entreprise, ne pouvait deviner que beaucoup plus tard, en
hommage à cette action d’éclat, son fils Loup qui n’était point encore né
rendrait célèbres semblables foulards [16] …
Pourtant, en le début de cette affaire, les
choses se présentèrent assez mal car nul ne pouvait savoir que d’Épernon avait
choisi les communs de son château de Cadillac pour y rassembler spadassins qui
devaient servir au meurtre du roi, et peut-être au coup d’État qui le suivrait.
En outre, voulant cette troupe en bonne cohérence, il les faisait entraîner
tous ensemble alors même que n’était point fixée la date de l’assassinat d’Henri
quatrième.
Par comble de malchance, en cet instant précis,
la trentaine de spadassins attendait en grande nervosité charrette amenant
tonneaux de vins et, scrutant l’horizon en fébrile impatience, l’un d’eux
aperçut la douzaine d’hommes portant foulards rouges et avançant en les vignes
l’épée à la main, si bien que l’alerte fut promptement donnée.
À dix contre trente, l’affaire s’annonçait
très délicate, mais point absolument irréalisable pour l’élite de la marine et
de l’armée royale. Pourtant, icelle eut peu à œuvrer car le seigneur Yasatsuna,
auquel justice oblige d’avouer qu’on n’avait point trop songé en le clan Nissac,
Yasatsuna, donc, montra comme on se battait en le lointain pays du Soleil
Levant.
Contre bon parti de cavaliers, Yasatsuna, coiffé
de son effrayant casque à cornes qui semblait venir du fin fond des temps, s’avança
seul, à sa demande, et Nissac se souvint que l’homme aux yeux en amande
appelait « Kyndo » la « Voie de l’arc ».
Bandant l’arc à cinquante toises [17] , Nissac et les siens crurent que leur étrange ami perdait l’esprit
puis l’amiral se souvint des paroles de l’homme du Japon : « Ce que l’archer
vise, au fond, c’est toujours le centre de lui-même. »
Un, deux, quatre, bientôt cinq cavaliers
quittèrent les étriers et s’effondrèrent tandis que rapide, la main de
Yasatsuna allait au carquois garnie de trente-six flèches ornées de plumes de
cygnes. Fasciné, le capitaine de Sousseyrac observait le grand arc, la main du
Japonais et, au-dessus de la poignée de cuir, crochet d’argent qui empêchait la
flèche de glisser.
Un tir d’arquebuse répondit du côté des
spadassins mais le seigneur Yasatsuna, fort peu impressionné, déroula petit
tapis en peau de daim et, à la stupeur générale des deux parties, tira assis en
pareille efficacité.
Un cheval échappé de l’écurie, sans équipement,
apparut et l’on vit alors le comte de Nissac bondir prodigieusement et le
monter sans selle ni étriers mais plus étonnant encore, avisant cheval sellé
libre de son cavalier tué, il passa d’une monture à l’autre sans prendre terre.
À cet instant, le seigneur Yasatsuna arrêta beau
cheval noisette et, à peine en selle, reprit l’usage de son arc si terrible, montrant
qu’il savait s’en servir en toutes circonstances et différentes positions.
Déjà, l’épée à la main, madame de Guinzan s’élançait,
aussitôt suivie de tous les autres et bientôt, tous ayant mis pied à terre, la
mêlée fut confuse. Mais en le cliquetis des épées, on entendit :
— Isabelle, prenez garde à gauche !…
Isabelle, gardez-vous à droite !
Et le comte de Nissac d’accourir en culbutant
son adversaire car la baronne se trouvant la seule femme entre tous ces hommes
qui furent un moment quarante, quatre spadassins, rien de moins, croisaient le
fer avec elle qui fut soulagée du prompt renfort de l’amiral dont chaque
engagement, très court, était mortel pour l’adversaire.
Voyant leur nombre fondre, une dizaine de
spadassins se replia vers hautes herbes et ajoncs tandis qu’au village, une
cloche sonnant le tocsin donnait l’alarme.
L’amiral réagit rapidement :
— Yasatsuna et Sousseyrac à moi, sus aux
spadassins.
Il hésita puis, avec un bref mais très
charmant sourire, choisit de s’adresser à la
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