Le Voleur de vent
chagrin, leur dépit et leur
envie durèrent peu car, comme elles se trouvaient assemblées une dizaine, voix
séduisante, mâle et câline les fit sursauter avec frissons en le bas des reins :
— Aucun bouquet de fleurs au monde ne
renfermera jamais autant de beauté que votre petit groupe, belles dames.
Elles se retournèrent… et trouvèrent
irrésistible ce jeune homme qui se présenta en s’inclinant avec mille grâces
félines :
— Baron Martin Fey des Étangs, officier
sur Le Dragon Vert de l’amiral-comte de Nissac. Pour vous servir, ravissantes
dames.
Il fut aussitôt emporté par toutes les dames
piaillantes et minaudantes, ignorant, l’imprudent, qu’on le menait vers les
Tuileries, ses jardins et ses discrets bosquets…
Toutes agirent ainsi. Toutes, sauf une.
Celle-là, d’âge assez avancé, d’une tête de
plus que les autres et de poids valant deux de ces péronnelles, mais qui n’en
dégageait pas moins charme étrange et provocant, celle-là, donc, se tenait
solidement jambes écartées et poings sur les hanches.
Princesse flamande fortunée, elle scrutait
sans se gêner monsieur de Sousseyrac, haut d’une toise et charpenté telle une
armoire.
À la vérité, le baron se trouvait en certaine
fascination de cette princesse de poids dont il songea : « Tudieu, quel
beau morceau ! »
La princesse, de son côté, se trouvait en
pensées assez voisines car c’est sans faire de façons qu’elle s’adressa au
capitaine de l’infanterie d’assaut :
— Ah çà, monsieur, vous et moi en un lit :
l’affaire serait chaude !
— Quel combat !… répondit Sousseyrac,
une lueur intéressée en le regard. Lui qui ne reculait ni devant barbaresques
ni face aux Espagnols sentait qu’on lui jetait là défi difficile mais, si l’honneur
lui faisait obligation de ne se point dérober, sa raison, elle, ne vacillait
pas malgré les circonstances :
— Cependant, madame, il est d’évidence qu’aucun
lit n’y résistera.
La princesse flamande lui adressa regard
énigmatique :
— Foin du lit !… Mais vous-même, y résisterez-vous ?
— Il n’est de réponse à cela qu’en
tentant la chose, madame.
Tandis que la princesse emmenait le baron de
Sousseyrac vers nouvelles aventures, que le séduisant Fey des Étangs se
trouvait enlevé par belles dames de la Cour et que le roi marchait en compagnie
de Nissac et de madame de Guinzan, le seigneur Yasatsuna regardait en grande
perplexité bassin où nageaient carpes qu’on disait centenaires.
Puis brusquement, à la grande stupeur du roi
et de tous ceux qui se trouvaient présents, le seigneur Yasatsuna bondit en le
bassin, brisa la pellicule de glace formée par le froid, saisit une carpe d’une
main agile et mordit en ce poisson avec grande conviction.
Revenu de sa surprise, et voyant Nissac assez
gêné, le roi fit remarquer d’un ton badin :
— Vous devriez le mieux nourrir, Nissac !…
Ce malheureux meurt de faim.
— Ce n’est que gloutonnerie de sa part, Sire.
— Que nenni, amiral, car s’il ne prend le
temps de faire cuire ce poisson, c’est qu’il n’y tient plus de satisfaire
grande faim.
— Sire, le seigneur Yasatsuna est ainsi
fait qu’il préfère poisson cru et mange également sans les cuire, mais avec
délices, algues et herbes de mer.
Le roi jeta bref regard désolé au fils du
Soleil Levant puis, d’un ton plus bas qui se trouvait celui de la confidence :
— Ah çà, Nissac, quel plaisir vous m’avez
donné à ravager châteaux de d’Épernon qui se croyait partout le maître en le
royaume des lys. Il n’imaginait point la chose possible et à la vérité, moi non
plus. Grand capitaine se voit certes en l’attaque, mais aussi en la façon dont
il a pensé cette attaque.
Nissac éprouva quelque gêne, comme toujours
lorsqu’on le complimentait :
— Sire, ces places n’attendaient point
pareil assaut et la surprise fut notre alliée.
Mais Henri quatrième, roi-soldat ayant beaucoup
combattu, avait avis autorisé :
— À Cadillac, la population est toute à
lui. Vous avez couru gros risque mais votre façon de vous retirer est une
merveille en le genre. Mais à Beychevelle, homme à cheval galopant sur les
rives pouvait vous dépasser et faire bloquer l’estuaire. Ah çà, qu’auriez-vous
fait ?
Nissac sourit.
— Votre Majesté, la route longe la
rivière. Mes canonniers n’auraient laissé aucune chance à pareil cavalier.
— Quoi, un cavalier
Weitere Kostenlose Bücher