Le Voleur de vent
et, gagnant la porte, il se retourna cependant. La baronne et le comte ne
lui avaient jamais vu encore visage si grave.
— Les difficiles missions que je vous ai
confiées, Nissac, servent la cause du royaume de France. Je sais qu’à votre
retour on vous emploiera à déjouer complot que d’Épernon et le parti espagnol
fomentent contre ma personne.
Il baissa un instant la tête, songeur, puis
reprit avec grand abattement en le regard :
— Nissac, je sais qu’ils me vont tuer. L’esprit
d’un fou, en grande intelligence en sa folie, monte chaque détail de l’affaire
et à ce que j’apprends par qui m’informe, c’est si bien conçu que je ne me fais
guère d’illusions quant à mes chances d’y échapper. Ils trouveront assassin qui,
ayant renoncé à sa propre vie, réussira, car c’est la règle en ces affaires, tel
pour Henri troisième, que celui qui ne pense pas même à sa fuite réussit à tuer.
Ni vous ni ma police n’y pourront rien, aussi je vous le dis comme à quelqu’un
que j’aime : ne vous faites point de reproches après ma mort, inévitable
dès l’instant où j’ai choisi d’en finir avec l’Espagne. Ne cherchez pas à
empêcher ce qui arrivera, ce n’est pas votre tâche.
— Quelle est-elle, Sire ?
— Ces chiens, si vous les pouvez tuer en
grand nombre, et cela, je sais que vous le ferez, eh bien c’est là chose qui
console mon cœur. Adieu, Nissac. Adieu, madame.
Il sortit.
Le comte et la baronne demeurèrent longtemps
silencieux, ne faisant guère honneur aux plats que le roi avait fait préparer.
On leur servit pourtant très capiteux vin d’Orléans,
agneaux cuisinés au beurre, sanglier, pâtés en croûte, truffes à l’huile et
cerises confites. Les légumes étaient méprisés à la Cour, à de rares exceptions,
qui furent servis avec les viandes : choux, réputés prévenir la calvitie, et
artichauts dont le roi était friand car on les tenait en réputation qu’ils
excitaient le désir du mâle pour la femelle.
Mais rien n’y fit : ni la baronne ni l’amiral
ne montrèrent grand appétit ni goût pour se parler.
Au reste, ils avaient trop à se dire pour
risquer une parole.
En les cuisines où
un gentilhomme l’avait mené sur ordre du roi, le seigneur Yasatsuna fut invité
à manger ce que bon lui plairait, en quantité à sa bonne convenance.
Curieux, le fils du pays du Soleil Levant
goûta les poissons en abondance, ceux de mer comme ceux de rivière. L’air grave,
il compara chair crue de saumon, sole, turbot, dorade, raie, hareng, sardine
puis, gavé de poissons de mer, il essaya ceux qu’on trouve en eau douce tels
truites, perches, brochets, lamproies, ombres et lavanets, ces derniers étant
curieux poissons qu’on ne pêche qu’en les lacs des Alpes.
Fasciné, le gentilhomme qui avait mission d’accompagner
Yasatsuna suggéra à celui-ci autres « plats » qui furent goûtés sur-le-champ,
et toujours crus. Ainsi chair de baleine plutôt coriace et chair de seiche
franchement glaireuse, mais aussi tripes de morues, huîtres, langoustes, écrevisses,
moules, palourdes. Enfin, on glissa vers autre chose encore en dégustant, toujours
crus, escargots, grenouilles, hérissons et couleuvres.
Très satisfait et repu, le seigneur Yasatsuna
fit rôt retentissant, étala sa peau de daim sur le carrelage de la cuisine et s’endormit
à la seconde en songeant que le royaume de France gagnait beaucoup à être connu.
Errant en un couloir
du Louvre, on récupéra le jeune et très beau baron Martin Fey des Étangs, très
repu lui aussi, mais de tout autre chose.
Il déclara ne plus savoir comment il s’appelait
et ne daigna grignoter que légère fricassée de poulet à la suite de chapon et
peu avant veau bouilli, moelle d’os, hachis de dinde avec pain émietté, gelée
de pommes cuites, tout en buvant un vin clairet.
Puis il déclara vouloir dormir, mais seul.
Si en sa compétition d’un genre singulier le
baron de Sousseyrac avait eu le dessus, ce qui valait mieux considérant le
poids de la princesse flamande, ce fut cependant de bien peu car plusieurs
joutes furent nécessaires pour que la rude princesse demandât enfin grâce en un
soupir pâmé.
On se mit à table à deux heures de relevée
mais, ayant avalé repas où l’on ne comptait plus perdrix, bécasses, ramiers, alouettes,
viandes, pâtés, venaisons, tout en buvant vin de Champagne d’Ay qui se trouvait
le plus réputé, le baron demanda grâce le
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