Le Voleur de vent
quelques mots.
Le comte se redressa aussitôt.
— Partons !
Certains quittaient déjà la pièce lorsque
Isabelle de Nissac, saisissant chandelier, en appliqua coup violent sur le
bas-ventre du « tâteur » dont les parties mâles furent ainsi mutilées
et qui s’évanouit sous l’effet de la souffrance.
Croisant le regard indéchiffrable de Nissac, elle
lui dit d’un ton qu’elle ne put empêcher d’être véhément :
— Il est noble de protéger le roi mais
vous auriez pu songer, messieurs, aux femmes que ce porc a mutilées.
Nissac regarda Isabelle avec un sérieux
désarmant, puis une lueur amusée courut en ses yeux gris.
— C’est pourtant vrai, madame… Ne changez
jamais car c’est ainsi que je vous aime…
92
Vingt-quatre heures, c’était bien peu de temps
pour réaliser si spectaculaire projet.
Mas le comte de Nissac n’était point homme à
reculer devant choses difficiles, voire tenues pour impossibles.
Il fit donc chercher cinq de ses plus robustes
marins qui, ainsi que tout l’équipage, cantonnaient en le vieux château du
Faubourg Saint-Jacques.
À l’aube, il offrait petite fortune en pièces
d’or espagnoles à un notaire qui, sans bien comprendre, accepta de laisser
jusqu’au lendemain sa maison à ce haut seigneur entouré de beaux officiers et
de dame ravissante : s’ils étaient fols, ou tous épris de cette dame qu’ils
comptaient se partager, ce n’était point là son affaire, la sienne – et quelle
affaire !… – étant tout cet or qui lui tombait du ciel.
Nissac ayant laissé les cinq marins ainsi que
Sousseyrac, Fey des Étangs, Valenty et Yasatsuna en la maison du notaire, se
rendit sans perdre un instant à l’Arsenal en compagnie de la comtesse Isabelle
son épouse.
Tiré du lit où il dormait encore, le duc de
Sully ne marqua point de mauvaise humeur. Cependant, inquiet, l’amiral le
trouva abattu, comme si l’assassinat du roi était déjà chose faite.
Passant outre, Nissac communiqua liste de
matériels dont il avait besoin et, au fur et à mesure qu’il lisait, le visage
de Sully s’éclaira car l’amiral lui révéla bientôt ce qu’il envisageait.
Ayant compris l’essentiel, Sully n’écoutait
plus que par instants le comte de Nissac. En effet, il se trouvait en grande
fascination de celui-ci, se disant : « Toi, rien ne te décourage, rien
ne peut t’abattre, ni la fatigue, ni la fatalité qui plane sur nous, ni cette
certitude que nous avons tous de la mort du roi, et pas davantage l’usure qui s’attache
à toutes entreprises humaines. Tu continues à te battre, tu veux croire
possible la victoire de notre cause et te donnes les moyens d’y parvenir !…
Je t’admire, Nissac, mais plus encore, je t’envie, car moi, je n’y crois plus. »
Il s’ébroua et donna ses ordres.
Et si le duc de Sully, très bien renseigné lui
aussi, ne croyait plus qu’il fût possible d’éviter la mort du roi, il avait
conservé en ses services cette remarquable promptitude en l’efficacité qui le
faisait redouter de toute l’Europe.
Des soldats de l’armée royale se vêtirent de
tenues de maçon et l’on chargea lourdement chariot bâché.
Une heure après son départ, le comte de Nissac
était déjà de retour, les soldats du roi repartis vers l’arsenal et un nouvel
épisode de la lutte entre loyalistes et félons commençait…
L’ambassadeur d’Espagne,
don Inigo de Cardenas, regardait le colonel de cavalerie Juan de Sotomayor avec
perplexité.
Il eût aimé le comprendre afin, le cas échéant,
de le bien manœuvrer.
Sotomayor semblait enfermé en sourde hostilité
à ce qui lui était demandé et Cardenas ne percevait point la raison de pareille
attitude.
La peur ?… Il n’y fallait point songer. Le
colonel était brave, un officier de très grande valeur, et sa carrière
militaire ne laissait en cette occurrence point de place au doute.
La vexation de se voir assigner besogne si
basse ?…
Stupidité !… Juan de Sotomayor savait qu’il
n’est point tâche subalterne mais seulement l’impérieux devoir de servir Dieu, le
roi et l’Espagne. Et, pensait l’ambassadeur, rien ne peut rebuter ceux qui ont
pareille foi en le cœur car la noblesse supérieure de la cause balaye toujours
l’indignité des moyens.
La mauvaise compréhension de la nécessité d’abattre
l’amiral de Nissac ?… Impossible !… Sotomayor était un homme
intelligent qui mesurait parfaitement combien Nissac
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